- Fête des enfants, l'Aïd est au delà de sa signification religieuse l'occasion de diverses célébrations. Sur fond de pâtisseries et de jeux forains, les traditions de l'Aïd demeurent quand même très populaires. C'est la fin du Ramadan ! Avec l'événement du croissant nouveau , c'est le mois de Chaoual qui fait son entrée et annonce du coup les fêtes de l'Aïd tant attendues. Cette fête de l'Aïd El Fitr marque donc la fin du Ramadan et l'entrée dans un nouveau cycle. On sentait, aux derniers jours du mois d'abstinence, comme un frémissement qui s'emparait de toutes et tous dans la perspective de la fête. Malgré le passage des années, malgré les nombreux changements sociologiques, les traditions qui accompagnent cette fête bénie sont demeurées intactes. Ainsi, après la rituelle prière de l'Aïd, les célébrations populaires peuvent commencer.
L'usage veut que l'Aïd soit la fête des enfants et de la famille. D'ailleurs, on dénomme cette fête Aïd Essighar (la fête des petits) car les enfants sont les héros de cette journée au cours de laquelle ils sont couverts de toutes les attentions. Ils étrennent les habits neufs, reçoivent des petites sommes d'argent désignées par le terme de "mahba" et peuvent, par conséquent, s'offrir bien des réjouissances. Où que l'on aille dans les quartiers populaires, on trouvera des rues pavanées de balançoires et autres jeux forains. De tous temps, l'Aïs a été l'occasion pour les enfants de s'amuser. Dans le passé, c'était le spectacle de Karokouz et les marionnettes siciliennes qui jouissaient de faveurs de tous. En ce temps révolu, on allait aussi beaucoup au cinéma et tous les temples du septième art profitaient de cette période pour sortir les films les plus récents. Nombreux sont les adultes d'aujourd'hui qui vous raconteront les grands films de leur époque comme "Cléopatre", "Les 7 mercenaires" ou encore les premiers James Bond avec Sean Connery. C'était alors l'époque dorée du cinéma et les salles grouillaient littéralement de monde durant les deux matinées puis en soirée. Pour les gosses d'hier, l'Aïd, c'était aussi la ruée vers... les photographes qui installaient des décors en plein air et immortalisaient les gosses avec leurs habits neufs dans des décors délirants. Véritable journée de bonheur, l'Aïd se divisait pour les gosses d'alors en deux parties bien distinctes : la matinée où, accompagnés des parents, on rendait visite à la famille élargie, l'après-midi où c'était quartier libre. Mais auparavant, l'attente durait quelques jours avec bien des étapes obligées.
Une noria de préparatifs Les derniers jours de Ramadan, toutes les conversations et tous les esprits sont tournés vers l'Aïd. en premier lieu, les familles réalisaient alors leurs propres pâtisseries ce qui impliquait des journées entières de travail. Il fallait en effet, acheter les ingrédients au souk El fekka, moudre le grain chez le minotier du coin puis "convoquer" les spécialistes de la famille pour "faire la baklawa" et tous les autres gâteaux. Après cela, c'était le tour du four du quartier d'être pris d'assaut par grands et petits qui annonçaient les recommandations d'usage : "Ne brûle pas ma "sinia" ; il faut qu'elle cuise à feu doux !". Les "Kaouech" de quartier voyaient ainsi des processions entières les visiter avec qui un plateau, qui une simple planche couverte de pâtisseries à cuire. Cette corvée assurée, les parents prenaient alors le temps d'emmener leurs enfants pour une double étape consacré à l'hygiène. Passage obligé, le coiffeur du quartier avait affaire à une ribambelle de gosses sagement assis et attendant leur tour dans son salon où les adultes étaient tout aussi nombreux. Quant aux hammams, ils se transformaient les veilles d'Aïd en véritables foires d'empoigne avec un taux de remplissage qui dépassait allégrement les 100%. On y faisait la queue désespérant d'obtenir une "fouta" qui soit sèche, on attendait parfois son tour dans la "Skifa", faute de place à l'intérieur. Parfois, un malheureux s'étant fait voler ses effets par des indélicats se retrouvait à arpenter le quartier en "Kobkeb" et chemise de fortune pour retrouver son domicile. De plus, à proximité de l'Aïd, l'usage des pétards connaissait un véritable regain avec des petites explosions suivies de cris de joie un peu partout... Un folklore qui a survécu malgré bien des interdictions. Comme il fallait aussi s'habiller de neuf, les derniers jours du Ramadan voyaient parents et enfants investir le centre-ville en quête de fringues élégantes et pas chères. Dans le temps, les rues Jamel Abdenasser et Charles de Gaulle grouillaient de monde. Tout comme les galeries marchandes de l'époque qui proposaient jouets ou habits : galeries Simon, Baby, la mère et l'enfant, maison modèle et tout d'autres enseignes. Même les grandes surfaces du temps jadis ne désemplissaient pas à l'image du Monoprix et du Magasin Général, seules entreprises de ce type. Dans la médina, ça se bousculait dans les trois artères traditionnelles des commerces de confection c'est-à-dire les rues de la Kasbah, d'El Grana et de Sidi Mahrez,. Avec le même bonheur pour les gosses qui, parfois, se retrouvaient face à la "Kharja" d'une zaouia où même face à un cortège de "Halalou" à l'occasion d'une circoncision. Une semaine de fébrilité précédait donc les fêtes de l'Aïd, une semaine de tous les préparatifs au cours de laquelle chacun vaquait à ses occupations : les femmes aux fourneaux des promesses de gâteaux, les hommes au moulin des dépenses et les gosses au centre de toutes les attentions...
Traditions immuables et douceurs du palais Le jour de fête est enfin là. Tôt le matin, les hommes se rendaient à la prière rituelle alors que les épouses préparaient leur demeure pour les nombreuses visites qui se succèderaient durant la journée. La veille, on aura préparé un potage ou bien une "hlalem" qu'on dégustera à midi avec parfois une pièce de "Maâkouda". Mais, au petit matin, après avoir paré les enfants, c'est aux gâteaux de l'Aïd que l'on goûtera... Il y a bien sûr la traditionnelle et consensuelle baklawa (une spécialité d'origine turque) mais il y a beaucoup d'autres préparations sur le plateau qu'on présentera aux visiteurs. En premier lieu, le "Kaâk ouarqa" se taille une place de choix. On raconte que lors de leur fuite d'Andalousie, les Morisques ont truffé ces gâteaux d'or pour pouvoir extraire leur fortune du pays d'Espagne qu'ils devaient quitter. Parmi les autres spécialités emblématiques de l'Aïd, la fameuse "ghraiba" de farine de Sorgho, pois chiche ou blé tendre. Les origines de ce gâteau remontent à la nuit des temps et seraient fort probablement berbères. Tout comme le makroudh d'ailleurs dont les origines se confondent avec nos racines les plus profondes. Bien sûr, les spécialistes régionales sont nombreuses et se déclinent selon les terroirs. Toutes sont en tous cas échangées par les familles et dégustées par les visiteurs qui font la tournée des maisons de leurs proches. Les congratulations durent toute la journée : "Snine daïma", "Kol am ouenti bkhir", "Aïd Mabrouk". Tous rivalisent de politesse y compris les mioches qui savent que de leur tenue dépendra le volume de leur "mahba" qu'ils dépenseront plus tard en jeux de toutes sortes et, par dessus tout, pour un fauteuil dans une salle obscure. La journée continuera dans la joie, avec parfois une chaussure récalcitrante qui fait un sort à l'un de vos pieds. A leur grand bonheur, les gosses auront même l'occasion de s'attabler en compagnie des adultes dans un café et pourront même se permettre le luxe de payer leur consommation. Fatigués mais repus, ivres de sensations nouvelles, les enfants regagneront leurs pénates à la tombée de la nuit avec des rêves plein la tête et une bourse encore bien dotée des petits sous qu'ils conserveront jalousement pour mieux les dépenser ensuite... Dès lors, tous commenceront à larguer vers le prochain avènement de l'Aîd El Kébir (qui aura lieu le dixième jour du mois de Dhou El hijja, dernier mois de l'année musulmane) qui, outre la célébration religieuse, est aussi un moment fort de la vie communautaire que les enfants attendent avec impatience.