Les jours de l'Aïd El Fitr, trois éléments de base constituaient l'alimentation des familles sfaxiennes dans le temps : la " charmoula ", sorte de marmelade à base de raisins secs et d'oignons accompagnée de l'inséparable poisson salé, le pain de l'Aïd et le " Makroudh ". Avec l'évolution des goûts qui accompagne les mutations sociales et l'amélioration du niveau de vie, si les deux premiers survivent encore, le Makroudh, lui, a été détrôné depuis belle lurette par d'autres douceurs au goût du jour, qui à leur tour connaissent un raffinement de plus en plus marqué aussi bien dans leur composition, leur arôme que du point de vue esthétique, toujours dans une quête constante de flatter le regard et le palais de consommateurs de plus en plus gagnés par le snobisme.
La Charmoula Selon le professeur Ali Zouari, historien et chercheur, le vocable Charmoula désigne un plat qu'avait connu Tunis et que connaissent encore les villes de Monastir, Jerba et Sfax , quoique actuellement, le nom évoque presque exclusivement la Capitale du Sud.
A l'origine, il y avait deux versions la Charmoula actuelle et la Charmoula crue . Cette dernière était un mélange de jus de raisins secs très sucrés de la variété " zbib asli ", provenant d'une vigne cultivée à Sfax et à Jerba, arrrosée de vinaigre et assaisonnée de poudre de carvi avec un peu d'huile d'olive. La charmoula crue est encore consommée par certaines personnes âgées, encore attachées à ce mode de préparation.
Par contre la Charmoula cuite, actuellement répandue, est une sorte de marmelade à base de raisin sec, d'oignons assaisonnés d'ingrédients et d'arômes tels le clou de girofle, le bouton de rose, la cannelle, le grain de cubèbe. La préparation en est simple : on fait roussir de petits morceaux d'oignons dans de l'huile puis on arrose avec du jus de raisin et on parfume avec les épices citées. Après quoi, on laisse mijoter à petit feu. Le jour de l'Aïd, le mets est servi avec du poisson salé.
Le poisson salé Par le passé, le salage du poisson était la technique la plus appropriée de conservation. A Sfax, il y avait le " Marraj ", du poisson salé et séché, tout comme le poulpe, une sorte de " kaddid ", que l'on consommait en hiver, saison des tempêtes, peu favorable à la sortie des embarcations de pêche. Le " Marraj " était trempé dans de l'eau avant d'être grillé. Le poisson salé, apprêté pour l'Aid, soit particulièrement des espèces de grosse taille comme la liche (chalbout),le rouget (mellou),le corbeau, le mérou (mennani ), le loup ( karous)etc..devait être frais. Après l'avoir éviscéré et bien nettoyé, on procédait au salage. La veille de l'Aid, on le faisait cuire à plusieurs reprises tout en veillant à changer l'eau de cuisson. D'ailleurs, fait important,à mentionner " Le poisson salé de l'Aid était exporté vers Alexandrie", précise notre interlocuteur.
Le pain de l'Aid Le pain de l'Aid quant à lui est d'origine andalouse. Si de nos jours, il est fabriqué à partir de semoule de blé dur ou de farine et commercialisé dans les boulangeries, autrefois, par contre, il était fait de semoule de blé dur et pétri à domicile par les femmes lors de veillées remarquables, dans une ambiance où se mêlaient décontraction et concentration. Chacune des pétrisseuses mettait beaucoup d'ardeur, d'énergie et de soin à malaxer sa part de semoule. Une fois le pétrissage au point, les boules de pâtes sont malaxées ensemble de façon à former un seul pain qui suffit à nourrir une quinzaine de personnes. Orné de ligelle, de grains de sésame et d'une autre épice, il était confié au boulanger du coin. Levé à l'aide d'une levure " maison ", sa réussite,associant aussi le boulanger, était l'objet de fierté de toute la compagnie de femmes qui avaient mis la main à la pâte et qui étaient vivement congratulées pour leur petit chef-d'œuvre, bien doré, appétissant et parfumé.
Le Makroudh A l'origine, on l'appelait " el makroudh lasmar ". Après l'avoir pétri convenablement on en faisait des colombins, sortes de boudins farcis soit de pâtes d'amandes sucrées soit de dattes plus de la pâte d'amandes sucrées. Orné à l'aide d'un moule , il était ensuite découpé en losanges. Par la suite, il était frit, égoutté et soit saupoudré de sucre soit trempé dans un bain de miel domestique à base de sucre, d'eau et de citron. Le " makroudh lasmar " a donné son nom à d'autres homonymes de la pâtisserie tradtionnelle sfaxienne soit le " makroudh labiadh ", à base de semoule de blé dur, ou le " makroudh drôo ", à base de sorgho.
C'est par la suite que sont venues les autres pâtisseries raffinées d'origine turque comme la baklaoua. Cette dernière, jadis fabriquée à base de sucre, de farine et de pâte d'amandes, a tendance à être composée, signe de raffinement, de pignon ou de noisette.