Cinéaste, ancien directeur du festival de Boukornine et auteur de plusieurs ouvrages, Chaffai Zaafouri est un touche-à tout avéré. Il vient de consacrer un précieux livre au costume traditionnel de la mariée en Tunisie et nous offre de la sorte un intéréssant outil documentaire. Accessible à tous, l'ouvrage de Zaafouri sort ce théme du costume traditionnel de la littérature universitaire et du ghetto des beaux-livres. En effet, l'auteur, tout en se référant aux travaux essentiels de Samira Gargouri Sethom, Jacques Revault et Aziza Ben Tanfous, parvient à opérer une synthèse inédite. D'abord, dans un esprit de vulgarisation, il dresse une généalogie du costume en Tunisie. De la lointaine époque libyque jusqu'aux Hafsides, il retrouve une linéarite historique et des ruptures dans la transmission du costume. Illustrations éloquentes à l'appui, c'est toute l'histoire du costume qui renait sous nos yeux dans sa dimension d'art populaire et dans sa profondeur anthropologique. Le critique Soufiane Ben Farhat qui signe la préface de ce livre saisit bien cet enjeu en ces termes : "Le plus grand voyage dans un mouchoir, le tour du monde en deux métres carrés... Le présent livre est plus qu'une fresque. C'est une véritable encyclopédie du bon goût vestimentaire nuptial à travers les âges". Inépuisable trésor, incomparable patchwork, selon les termes du préfacier, cette histoire nous réconcilie avec des pans entiers de notre mémoire et dit bien le caractére pluriel de notre nation. Toutes les Kesswas de Tunisie Ensuite, Chaffai Zaafouri s'attaque à la diversité des costumes tunisiens en privilégiant l'angle géographique. Les trois premiers chapitres sont ainsi consacrés à Tunis, Bizerte et au Cap Bon. On y retrouve tous les costumes urbains, leurs racines souvent andalouses et la richesse de leurs broderies. Avec beaucoup d'illustrations, les costumes renaissent dans leurs détails et replis les plus secrets. L'auteur n'omet pas de passer en revue coiffes et bijoux et placer leur évolution dans celle, plus large, du costume de mariage. Le chapitre consacré au Sahel est d'une grande richesse car il investit tous les terroirs de cette région de haute mémoire urbaine. Villes et villages défilent dans une procession de toutes les noces saheliennes qui, malgré la proximité régionale, sont d'une diversité surprenante. Kairouan et Sfax sont traitées dans deux chapitres différents qui mettent en relief l'originalité de leurs costumes de mariée. La capitale arabe historique et celle du Sud dénotent une richesse inouie lorqu'il s'agit du costume des mariées. Trés structuré, l'ouvrage envisage ensuite les costumes du sud-est et ceux du sud-ouest dans leurs différences culturelles et leur rapport au passé nomade ou sédentaire de ces régions, à leurs racines profondes arabes ou berbéres. Ce faisant, Zaafouri fait aussi oeuvre de géographe humain en s'intéressant au patrimoine des petits hameaux et des héritiers de la structure clanique. Et, encore une fois, il parvient à nous plonger dans la complexité de ces costumes et le chassé-croisé de leurs origines. Djerba constitue un autre point fort du livre qui investit les arcanes des qmaja et autres jelwas dont les particularismes sont trés accentués dans les diverses communautés qui peuplent l'ile. En ce sens, Zaafouri fait oeuvre utile en n'omettant pas de mentionner le costume nuptial des mariées juives et ses fastueux bijoux. De même, l'auteur se penche sur le costume des mariées du nord-ouest qui, tout en demeurant peu connu, recéle des savoirs-faire qui le relient a l'antiquité et ses drapés. Le lecteur aurait enfin souhaité que le costume du centre-ouest soit analysé dans un chapitre à part et mis en relief de manière autonome. Natif de Sidi Bouzid, Chaffai Zaafouri aurait pu donner un éclairage sur le costume des régions de Gammouda, Kasserine ou Foussana. Est-ce la tradition nomade dans ces régions qui a retenu l'auteur? Est-ce plutôt la rareté des sources? En tout état de cause, le costume nuptial de ces régions mériterait à lui seul un ouvrage entier. Les trésors de la tradition populaire Ce qui sous-tend la richesse du livre de Zaafouri, ce sont les nombreux travaux consacrés aux arts et traditions populaires mais aussi la capacité de synthèse de l'auteur. Il opére en effet de la même manière dans chaque région en posant le cadre géographique puis en dessinant la linéarité historique. Ce n'est qu'ensuite que le costume intervient comme une résultante de cet héritage. Grâce à cette démarche, le lecteur devine les nombreuses interactions qui ont accouché des traditions vestimentaires dans nos terroirs. L'auteur essaie en outre d'être explicite en exposant l'essentiel sans surcharger l'information fondamentale par la lourdeur des références et autres digressions. Au final, l'ouvrage se laisse lire et, surtout, a la valeur d'un document humain et iconographique. A l'heure où le patrimoine immatériel est de plus en plus à l'ordre du jour, le livre de Chaffai Zaafouri nous donne un élément remarquable par sa concision et sa précision. Publié à compte d'auteur, originalement écrit en arabe, cet ouvrage a été traduit par le professeur Hechmi Trabelsi et constitue bel et bien un trésor. Trésor du costume nuptial comme son titre l'indique mais aussi trésor des arts féminins et des savoirs populaires. Assurément, un livre qui fera date et qui, comme le souligne le préfacier est un "régal pour l'esprit et un délice pour l'intelligence".