Inflation vs pouvoir d'achat : le grand écart tunisien    Un pont géant pour relier la Sicile au reste de l'Italie    Ghana : deux ministres périssent dans un crash d'hélicoptère    Football-compétitions africaines des clubs 2025/2026: le tirage au sort prévu le samedi prochain en Tanzanie    Equipe tunisienne de karaté: cinq membres se qualifient pour les championnats du monde    Report de la grève de la Transtu et de la SNTRI    La Galerie Alain Nadaud abrite l'exposition "Tunisie Vietnam"    La justice relance les poursuites contre l'association Mnemty et Saadia Mosbah    Opaques même pour leurs vacances    Alerte en Tunisie : Gafsa en tête des coupures d'eau    Absence de Noureddine Taboubi : qui assure la direction de l'UGTT ?    Une chance à ne pas rater : 115 bourses pour les étudiants tunisiens au Maroc et en Algérie    Hammamet interdit Quads, Motos et animaux sur ses plages    Quand le monde échappe aux cartes : pour une géopolitique de la complexité    FIC 2025 : une soirée de liesse et de ferveur pour l'artiste palestinien Saint levant    BIGTECH Africa Expo 2025 : le grand salon de la technologie et de l'IA en Afrique de retour    Succession dans le camp MAGA : Trump adoube JD Vance pour 2028    Remboursements abusifs : quand des vacanciers transforment leurs séjours en arnaques    Inclusion financière de la femme : l'Etat préfère donner la parole aux hommes    Tech Day Kia PV5 : la technologie au service d'une mobilité sans limites    Ahmed Jaouadi, l'or dans les bras, l'ingratitude sur le dos    Donneurs par défaut, refus familial, loi de 1991 : les paradoxes du système tunisien de greffe    Hiroshima : 80 ans après, un souvenir à jamais gravé    Investissements agricoles responsables : la FAO forme les encadrants pour mieux accompagner les agri-entrepreneurs    10ème édition du Festival Maraya El Founoun : un anniversaire sous le signe de l'art et de l'échange    « Koum Tara » à la 59eme édition du Festival International de Hammamet    Décès : Nedra LABASSI    El Haouaria: les recherches s'intensifient pour retrouver un plongeur disparu    Des feux de forêt ravagent la France et l'Espagne et causent un mort et plusieurs blessés    Snit et Sprols: vente par facilités et location-vente    Karim Nebli revient sur une plainte pour viol déposée par une touriste britannique à Sousse    Tawasol Group Holding annonce un exercice 2023 dans le rouge    À la recherche d'un emploi ? L'ANETI est désormais entièrement en ligne    Création d'un consulat de Tunisie à Benghazi en Libye    A l'occasion du Mondial féminin : une délégation tunisienne au Royaume-Uni pour la promotion du rugby féminin    Création d'un consulat général de Tunisie à Benghazi    Météo : des températures jusqu'à 37 °C dans le sud !    Kaïs Saïed, Ahmed Jaouadi, mosquée Zitouna…Les 5 infos de la journée    Vague d'indignation après le retour ignoré d'Ahmed Jaouadi    Ahmed Jaouadi rentre à Tunis sans accueil officiel    La mosquée Zitouna inscrite au registre Alecso du patrimoine architectural arabe    Orchestre du Bal de l'Opéra de Vienne au Festival d'El Jem 2025 : hommage magique pour les 200 ans de Strauss    Le Théâtre National Tunisien ouvre un appel à candidatures pour la 12e promotion de l'Ecole de l'Acteur    La révolution de correction de l'école au centre culturel : Saïed veut une pensée libre et créative dès l'enfance    Ahmed Jaouadi champion du monde à nouveau à Singapour dans la catégorie 1500 m NL (vidéo)    Au Tribunal administratif de Tunis    Le Quai d'Orsay parle enfin de «terrorisme israélien»    Mohammed VI appelle à un dialogue franc avec l'Algérie    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



L'espoir inébranlable d'un théâtre majeur
Publié dans Le Temps le 31 - 03 - 2015

Avec pour épicentre le théâtre El Hamra, Ezzeddine Gannoun fut l'un des rares véritables résistants culturels durant l'ancien régime. Ses créations, son travail théorique, ses actions de formation à l'échelle arabe, africaine et francophone font de nous les légataires d'une œuvre généreuse, exigeante, encore frémissante...
C'est avec stupeur que les Tunisiens ont accueilli la nouvelle de la disparition du metteur en scène de théâtre Ezzeddine Gannoun... L'homme était respecté de tous, pleinement investi dans son art, en pleine maturité créatrice.
Toutes ces dernières années, Gannoun les avait passées à mettre sur pied un théâtre au sens physique, moral et esthétique du terme. Depuis fort longtemps, Gannoun s'est investi avec succès dans la renaissance d'un théâtre à la rue El Djazira. Dans la vieille salle d'El Hamra, il a posé ses valises dès la fin des années 80, fort d'un projet et d'une ambition.
A l'époque, le Théâtre Organique était encore vivant et ses membres encore liés par une sorte de serment artistique qui les a vus passer du statut d'étudiants de l'Institut d'art dramatique à celui de penseurs d'un théâtre alternatif en Tunisie. Avec les Akkari, Boukadida et autres Jellouli, Ezzeddine Gannoun a d'abord ouvert El Hamra qu'il venait de reprendre, aux rêves de toute une génération.
En ce temps, la petite bonbonnière de la rue El Djazira rassemblait les artistes alternatifs et se posait comme un contre-modèle à l'essoufflement du Nouveau Théâtre dont la plupart des membres finiront par rejoindre l'establishment ou bien s'éloigneront de leur projet initial. Mieux, les artistes tunisiens en cette fin des années 80 louaient unanimement Gannoun pour sa volonté d'investir une ancienne salle de quartier, tout en ayant à l'esprit la débandade du Nouveau Théâtre lors de la reprise du Lido.
De fait, Gannoun ne quittera plus jamais El Hamra qu'il allait durablement transformer en théâtre de tous les arts, en havre pour les artistes et en laboratoire pour le mouvement théâtral. Sur les planches d'El Hamra, il créera ses œuvres les plus marquantes, de "Gamra Tah" à "Nwassi", de " Amour d'automne" à "Parlons en silence" jusqu'à sa dernière trilogie dont les trois opus sont "Otages", "The End" et "Monstranum's".
Un honnête courtier du savoir théâtral
Le discours théâtral de Gannoun s'est énormément affiné au fil des décennies. Partant d'une perspective brechtienne du temps du Théâtre Organique, il se tournera davantage vers des inspirations plus modernes allant de la scène allemande aux créateurs de l'Europe de l'Est. Il ira aussi vers une réflexion sur le corps, l'absurde, le rire ou l'énergie de l'acteur.
Car ce que l'on sait peu de son parcours, c'est qu'il fut aussi un fin théoricien qui jonglait avec les références et pouvait établir des correspondances intimes entre par exemple une tragédie grecque et un happening avant-gardiste, chose invisible au commun des mortels du quatrième art. C'est d'ailleurs ce bagage théorique et cette dimension intellectuelle qui feront de Ezzeddine Gannoun l'un des meilleurs formateurs tunisiens dans le domaine du théâtre.
Honnête courtier du savoir, il partageait tout avec ses disciples. En d'autres termes, il ne leur cachait rien de ce qui pouvait constituer les ressorts secrets d'une œuvre, les replis intimes d'une gestuelle ou d'un discours. Exigeant mais posant le savoir en partage, Gannoun a su faire passer de manière très pragmatique sa vision du théâtre, son ambition pour le théâtre.
Ce n'est pas un hasard s'il a fini par fonder le centre arabo-africain de la formation, de la recherche et des études théâtrales. Ce centre dont le siège se trouve à El Hamra a accueilli de nombreux stagiaires tunisiens, arabes et africains. Matrice de nombreuses œuvres, lieu formateur pour de nombreux artistes, ce centre a ouvert de nouvelles perspectives et démontré la validité des approches de Gannoun qui sillonnait Afrique, Europe et Asie pour porter son message théâtral, celui systématisé par le centre dont il était le fondateur et le principal animateur.
Un artiste dans les interstices du dogme
Acteur culturel, théoricien, formateur, comédien aussi, Ezzeddine Gannoun était un homme aux multiples casquettes. Toutefois, c'est celle de metteur en scène qui l'a le plus fait connaître et apprécier par le grand public. Depuis le milieu des années 70, il n'a en effet jamais cessé de créer, tout en élargissant toujours son regard. Son théâtre de la dernière décennie se résume à trois créations aussi prémonitoires que tissées de métaphores, aussi troublantes que parfois indéchiffrables.
Réalisées avec la dramaturge Leïla Toubel, ces œuvres sont désormais entrées dans le répertoire du théâtre moderne en Tunisie et constitueront des cas d'école aussi bien pour leurs textes que les arcanes de leur mise en scène.
Car, aussi bien "Otages" que "The End" s'installaient dans les interstices du dogme pour dénoncer et annoncer la chute de la dictature d'une famille sur un pays. Dernière pièce de la trilogie, "Monstranum's" posait, après la révolution, la question de la barbarie, de nos dérives, de nos impuissances. Aujourd'hui, ces pièces de théâtre semblent si prémonitoires avec leurs problématiques de l'enfermement, de la terreur et de la fuite avant la fin. Quant à la barbarie qui cherche à nous atteindre, comment ne pas dire que "Monstranum's" la pressentait déjà, la redoutait, la désignait et nous désignait comme, non pas ses victimes, mais ses complices expiatoires.
C'est cela toute la puissance de la maturité du théâtre de Ezzeddine Gannoun. Il est le seul à toujours s'être démarqué des puissants, a avoir décliné honneurs et responsabilités pour se contenter du viatique de tout créateur pour lequel les utopies doivent de dissoudre dans l'action.
Nous le pleurons aujourd'hui qu'il nous quitte à jamais. Mais demeure avec nous l'espoir inébranlable d'un théâtre majeur, le chemin ardu qui fait face à tout créateur et, surtout, le reflet d'un homme, de ses combats et de ses rêves intacts.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.