La librairie Millefeuilles accueille samedi 18 avril à 17h la cérémonie de signature du livre de la photographe Héla Ammar. Univers carcéral sous l'objectif sur fond de digressions textuelles sur la prison, ses anges déchus et ses corridors métaphoriques... Les éditions Cérès viennent de publier un ouvrage dont les photographies et les textes sont signés par Héla Ammar. Cet ouvrage a été publié avec le concours de l'Institut français de Tunisie, l'ambassade de Suisse en Tunisie, le Haut-commissariat aux droits de l'Homme et l'organisation mondiale contre la torture. Intitulé "Corridors", ce livre paraît avec une postface de Sadok Ben Mhenni, militant de gauche et ancien prisonnier politique. Cet ouvrage de 130 pages comprend une quinzaine de textes courts et une collection de photos en noir et blanc prises dans des établissements pénitentiaires tunisiens auxquels l'auteure a pu avoir accès. Fibre humaine et vécu carcéral Artiste visuelle, Héla Ammar a beaucoup travaillé sur les questions identitaires. Son ouvrage " Corridors" trouve sa genèse dans une enquête sur les couloirs de la mort en Tunisie dont elle est co-auteure. Prolongeant ce travail effectué en sa qualité de juriste - Héla Ammar est docteur en droit -, la photographe s'est engagée dans le développement d'un ensemble d'installations sonores et visuelles dépeignant l'univers carcéral tunisien, ce qui constitue en soi une première. Approfondissant encore plus sa recherche, Héla Ammar publie maintenant " Corridors", un livre réunissant une collection de photographies faites de la nudité du réel et d'un certain dépouillement carcéral. Ces photos montrent aussi des superpositions de portraits chevauchées par des scènes du vécu des prisonniers. Le livre s'ouvre sur une photographie de Borj Erroumi sur fond de barbelés et de miradors. La prison de sinistre mémoire est le prétexte pour Ammar de placer son livre sous le signe de l'humain. Elle écrit ainsi en exergue: "Ce n'est à mon avis que dans les prisons que l'on touche à l'humain dans toute sa dimension et dans tous ses paradoxes. Et c'est ici à l'humain que je voudrais d'abord rendre hommage. De fait, le livre s'ouvre sur un texte qui porte le titre "L'humain" et rend compte de réalités statistiques comme le nombre des prisons et celui des détenus. Ammar y évoque aussi son expérience professionnelle et, surtout, sa démarche de photographe qu'elle explique en ces termes: " Je n'aurais pu reporter crûment cette réalité qu'en ôtant aux détenus ce qu'il leur restait de dignité. J'ai donc choisi de partager mon regard sur les prisons à travers des images qui se superposent de la même manière que des souvenirs qui s'entrechoquent". Cela donne la clé pour l'approche photographique dans ce livre. Peu de documents bruts et beaucoup de travail qu'on pourrait apparenter à un floutage du réel. Des barreaux, des sommiers, des mains menottées, des hommes debout qui se confondent avec des portraits furtifs. Plusieurs photos de dortoirs ont une valeur de témoignage et des yeux superposés semblent métaphoriquement observer ce réel peu visible. Les différentes parties du livre "traitent" ou plutôt évoquent les visites, les chambrées, les "matons" et aussi la prison des femmes. Les condamnés à mort sont également présents dans ce livre qui se soucie aussi de questions simplement humaines comme le temps, l'argent, l'isolement, la nourriture ou la maltraitance. Héla Ammar est en effet à la recherche de cette fibre humaine, de ce vécu carcéral qu'elle essaie de nous montrer tout en le retranchant derrière un voile pudique, respectueux des détenus. Il y a aussi les voix de ces derniers qui témoignent, racontent des anecdotes, des tranches de vie et aussi l'humiliation et la torture qui guettent toujours. «Des images qui bouleversent, écorchent, renversent» Ce livre n'en devient que plus humain, plus vrai aussi car il nous donne à entendre la voix des prisonniers tout en nous montrant l'envers des barbelés, le monde retranché des prisons, la vie confinée d'hommes et de femmes mis au ban de la société, enfermés, soustraits à la vue des autres, frappés d'un anathème qui interpelle nos consciences. Héla Ammar parvient à rendre tout cela par la sobriété des textes et également des photos, par son souci de palper l'humain dans ces situations carcérales, à la marge de la vie normée de nos sociétés qui continuent à "surveiller et punir". Dans sa postface, Sadok Ben Mhenni laisse remonter ses propres souvenirs de prison, évoque "les plus éprouvés des hommes", salue des "images qui bouleversent, écorchent, renversent". Il interpelle aussi la photographe, la juriste, la militante, la citoyenne, celle "qui a saisi l'infigurable, montré et témoigné". Il ajoute une voix à celle des sans-voix, relégués en prison et, à son tour, témoigne de ces enfers carcéraux qui, souvent, font le lit de l'inhumain en nous. "Corridors" est une œuvre complexe car elle fait interagir de nombreuses réalités et nous met face à ces prisons dont nous connaissons si peu le fonctionnement et les images. Un ouvrage à découvrir donc, en particulier ce samedi 18 avril à 17h à la librairie Millefeuilles à la Marsa. Héla Ammar y présentera en effet son ouvrage, explicitera sa démarche et dédicacera son livre.