Petit poucet, elle a trouvé sa vocation : transmettre par l'art et l'enseignement. Et c'est à grands pas qu'elle enjambe les espaces publics pour raconter en photos, vidéos et installations, un territoire et des populations qui sont à sept lieues d'une vie digne et du beau. Question classique : comment êtes-vous venue à l'art ? Après le bac, j'ai voulu faire l'école des beaux-arts, mais comme je suis née dans une famille de juristes, j'ai dû changer d'orientation et m'inscrire à la fac de droit. Mon père m'avait promis de me laisser faire de la peinture parallèlement à mes études... A l'époque, Mahmoud Sehili, (artiste-peintre tunisien né en 1931 et décédé en 2015) dirigeait un atelier pour les amateurs de peinture. Il m'avait accompagnée dans ma passion pendant 5 ans. Après, j'ai arrêté... Pourquoi ? J'étais trop imprégnée par le style de Sehili, je ne me retrouvais pas. Je suis restée 10 ans sans toucher au pinceau. Entre-temps, qu'avez-vous fait ? J'ai fait des enfants (rires) et j'ai passé un concours pour enseigner à la fac de droit. Après avoir soutenu ma thèse, je suis retournée à la peinture. C'était en 2003. Il m'a fallu tout ce temps-là pour reprendre le pinceau et commencer une démarche qui m'est propre. C'est ainsi que j'ai intégré le monde des beaux-arts, les galeries, et que j'ai pu exposer mes travaux. Par la suite, je suis passée de la peinture à la photo et de la photo à l'installation. Si nous avons bien compris, vous avez, encore une fois, abandonné la peinture. Pourquoi ? Je me retrouve beaucoup plus dans le monde de la photo. C'était une sorte de déclic. Quand j'ai commencé à travailler sur le corps, l'image était devenue plus importante par rapport à une peinture abstraite. Comment avez-vous procédé ? Je me suis mise en scène dans mes propres photographies pour inventer des sujets comme le corps et l'identité féminine. Après, est venue la «fameuse» révolution... Et alors ? J'ai été projetée dans l'espace public pour la première fois. C'était avec JR, un photographe français. Nous étions tout un groupe d'artistes et nous avons réalisé des portraits de personnes anonymes, de tous les âges et de toutes classes sociales que nous avons exposés sur les murs du Grand Tunis, Sfax et Sidi Bouzid. Une manière de remplacer les portraits de Ben Ali par ceux du peuple et de dire : les Tunisiens sont en train de reconquérir leur destin, leur voix et leur image. Ensuite, en tant que juriste, j'ai été choisie pour faire partie de la commission d'enquête sur les abus commis pendant la révolution. Une partie de notre mission était d'enquêter dans les prisons. J'ai pris plusieurs photos que je n'ai pu exploiter que plus tard, une fois que la mission était terminée, et que je n'étais plus tenue d'aucune obligation de réserve. Vous parlez de ces photos qui racontent l'univers carcéral et que vous avez exposées dans le cadre de Dream City (biennale pluridisciplinaire d'art contemporain dans l'espace public), n'est-ce pas ? En effet. C'était pendant l'édition 2012, et ces photos ont été collées sur les murs du parking de La Kasbah. Le projet s'intitulait «Counfa». Que veut dire «Counfa» ? C'est la distorsion de convoi. Autrement dit : le transport des détenus d'une prison à une autre ou bien d'une prison à un tribunal. J'ai donc travaillé sur le déplacement dans le temps et l'espace. Et la bonne nouvelle, c'est qu'une sélection de la série fait partie, désormais, de la collection du «British Museum», le musée de l'histoire et de la culture humaine situé à Londres, au Royaume-Uni. Les collections de ce musée sont constituées de plus de 7 millions d'objets. Elles sont parmi les plus importantes du monde et proviennent de tous les continents. Bravo ! Merci. Ce même projet a été publié en livre-photos et témoignages des détenus, sous le titre «Corridors», en 2014. Avez-vous d'autres publications ? J'ai été coauteur dans un autre livre qui s'intitule : «Le syndrome de Siliana». Le sous-titre était le suivant : «Pourquoi faut-il abolir la peine de mort en Tunisie?». Quel rapport avec la région de Siliana, située au nord-ouest du pays ? Quand on a fait la cartographie des condamnations à mort et du taux de pauvreté, cela correspondait, notamment, à cette région. Avez-vous d'autres projets ? Actuellement, je prépare ma participation à la prochaine édition de Dream City qui aura lieu du 4 au 8 octobre 2017. De quoi s'agit-il, cette fois ? C'est la continuation d'un même projet que j'ai entamé dans le cadre de 3 mois de résidence avec l'association l'Art rue, créatrice de Dream City et porteuse de projets artistiques innovants en espace public, en articulation avec le territoire. Dans ce nouveau projet d'immersion dans la Médina, je travaille avec 5 jeunes qui me font découvrir leur vie quotidienne faite de pauvreté, de violence, de drogue et de frustrations... Et quel est le but de ce projet ? Raconter, d'une certaine manière, les problèmes de ces jeunes de la Tunisie actuelle. Et quelles techniques utiliserez-vous ? Celles de la photo, la vidéo et l'installation. Parallèlement, je participe à «Jaw», ce festival qui invite les artistes à travailler autour d'un thème. Et le thème de cette année est l'émigration. Au programme, il y a une participation à Tunis et une autre à la biennale de Venise, en Italie. Avez-vous d'autres projets d'exposition ? Je prévois de participer à des expositions internationales pour l'année prochaine. J'attends d'avoir les dates. Vous sentez-vous plus artiste qu'enseignante ? Je me sens autant enseignante qu'artiste. L'enseignement, je l'ai choisi par vocation. J'avais vraiment besoin de ce contact avec les étudiants et de leur transmettre quelque chose. Transmettre, n'est-ce pas ce qui caractérise l'art aussi?... Ses œuvres Les œuvres de Héla Ammar font partie de nombreuses collections publiques et privées dont celle du British Museum. Elles ont été présentées à des biennales et expositions internationales telles que : Réenchantement, Dak'art, Biennale de Dakar (Sénégal 2016), les Rencontres internationales de la photo de Fes (Maroc 2015), Something Else, Off Biennal Cairo (Egypte 2015), Telling Time, 10es Rencontres photographiques de Bamako, Biennale de Bamako (Mali, 2015), Traces, Fragments d'une Tunisie contemporaine, MuCem Marseille, (France 2015), les 27es Instants Vidéo, Festival numérique et poétique, Marseille (France, 2014), World Nomads (New York City 2013), Les rencontres photographiques d'Arles, Quartiers d'Afrique, Arles (France 2013), Dream City, Biennale d'art en espace public (Tunis 2012 et 2010)...