Le Théâtre National Tunisien et l'Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine (ANPU) organisent du 09 au 19 juin la première expérience de Psychanalyse urbaine de Tunis. Pour ce faire, ont été invités à Tunis trois membres de cette Agence, comédiens et chercheurs, pour prendre part à cette psychanalyse urbaine : à savoir Laurent Petit, Charles Altorffer et Camille Faucher, qui ont réussi à mettre au point un nouveau procédé/jeu destiné à « guérir » les villes. Ce procédé entre la performance et la réalité, est la première science poétique en son genre digne de ce nom. Accompagnés des élèves de l'Ecole de l'Acteur du Théâtre National Tunisien, ces chercheurs nous font (re)découvrir la ville de Tunis et ses habitants telle qu'ils l'a configurent en établissant un diagnostic. Une restitution publique aura lieu à la place Halfaouine vendredi 19 Juin 2015 à 21h30. A cette occasion, nous avons rencontré l'un de ces hommes, Laurent Petit, qui nous a parlé de leur travail, de leurs méthodes et des résultats escomptés. Entretien. Le Temps : Qu'est-ce l'Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine ? Laurent Petit : L'ANPU (Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine) établie à Marseille elle rassemble toute une équipe de chercheurs sensibilisés à l'urbanisme et à la psychanalyse des villes. C'est comme si on considérait la ville comme une personne et on essaie d'établir un dialogue à l'instar de ce que fait un psychanalyste avec ses patients en les mettant sur le divan. Alors, on veut détecter les névroses de la ville et essayer de la guérir, moyennant des solutions thérapeutiques adéquates. On travaille déjà depuis dix ans et on a psychanalysé environ une centaine de villes dont beaucoup en France. Récemment, on était à Alger avant de venir à Tunis. Parlons d'abord de Laurent Petit et de ce que vous faites dans cette Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine ? Après une brève carrière d'ingénieur, j'ai basculé dans le monde merveilleux du spectacle en étant tout d'abord jongleur puis clown dans les cirques, jusqu'au jour où j'ai rencontré un chercheur, Eric Heilmann, qui faisait des travaux sur les liens entre Mickey la souris et Michel-Ange. Cette rencontre m'a permis de jeter les bases d'une science poétique qui allait devenir plus tard la psychanalyse urbaine... Un jour j'ai rencontré un collectif d'architectes « Exyzt » qui avaient besoin d'un porte-parole pour présenter leurs travaux, j'ai enfilé une blouse blanche et j'ai réussi à me faire passer pour un psychanalyste urbain... Qu'exigez-vous au préalable d'une ville pour qu'elle soit soumise à une psychanalyse? D'abord, il faut que cette ville en ait vraiment l'envie ! Car on ne peut proposer nos services à ville, que lorsqu'elle nous le demande. Donc, elle doit s'engager franchement et sincèrement sur le chemin de cette Psychanalyse Urbaine. Il faut que la ville « patiente » montre une vraie volonté à chercher la guérison. D'ailleurs, nous sommes là suite à une invitation de la part du Théâtre National de Tunis : on est en train de rencontrer la population, des experts de la ville, des architectes tunisiens, pour faire en public la synthèse de toutes nos rencontres et nos discussions, le 19 juin, Place Halfaouine, à Tunis. Freud, le père de la psychanalyse, définit trois instances présentes en l'homme, à savoir le « ça », le « moi » et le « sur-moi ». Ces trois instances régissent ses comportements, à la fois conscients et inconscients. Quelle différence y a-t-il donc entre la psychanalyse faite sur les hommes et la psychanalyse urbaine, faite sur les villes ? Bien sûr, ce n'est pas facile de faire parler une ville. Pour faire parler toute la population, cela nous prendra au moins dix ans. Donc on choisit au hasard des échantillons de gens (la Médina, La Goulette, Le Lac...) C'est une sorte de thérapie rapide puisqu'elle se fait en deux semaines. Notre discipline pourrait s'avérer inutile ou inefficace pour certains, et c'est vrai que plusieurs n'y croient pas trop encore aujourd'hui, mais c'est un travail pertinent et salutaire que notre agence est en train de faire. En psychanalyse classique, c'est vrai, on aura tendance à parler de « ça », de « moi » et de « sur-moi », alors qu'en psychanalyse urbaine, on est plus sur du « ça », du « toit » et du « sur-toit »... C'est un travail qui s'intéresse aux origines de la ville, à son histoire, à son architecture, ses différentes problématiques sur le plan social et politique, liens familiaux, traumatismes multiples (les guerres, l'époque coloniale, les épidémies, les inondations...) Qu'en est-il de la méthodologie que vous adoptez ? Autrement dit : « Comment poser une ville sur le divan ? Y a-t-il des étapes de travail? C'est l'expression empruntée au travail d'un psy qui allonge son patient sur un divan pour le questionner. Pour nous, poser la ville sur le divan consiste à faire d'abord une longue enquête qui passe par des opérations destinées avant tout à mieux cerner la personnalité de la ville au travers de la parole de ses habitants invités à répondre à un questionnaire, ces informations sont complétées par toutes sortes d'interviews menées auprès d'experts en urbanisme et en histoire. Ajoutons à cela, toutes sortes de rencontres fortuites, furtives et irrationnelles que nous effectuons durant notre visite, ce qui, d'ailleurs, enrichit notre réflexion et facilite notre diagnostic sur la ville. Et quels sont les résultats escomptés de votre travail psychanalytique sur Tunis ? Si jamais vous découvriez une anomalie quelconque ? Chaque enquête se conclut généralement par une synthèse de nos recherches menées sur place. On va bien sûr proposer des traitements urbanistiques, en vue d'apporter un remède ou des solutions sur le plan du transport en commun, au problème de l'obésité, par exemple, et à d'autres problèmes que nous aurons remarqués. L'essentiel est qu'il faut consolider l'espoir des habitants en l'avenir et faire en sorte qu'ils soient épanouis, heureux et bien dans leur peau... Et depuis que vous avez commencé votre enquête psychanalytique à Tunis, avez-vous trouvé que la ville est vraiment « psychiquement » malade ? J'ai eu l'occasion de travailler à Beyrouth et Alger. Franchement, Tunis est en pleine forme par rapport à ces deux villes. A Alger, par exemple, toutes les rues sont désertes, les gens sont déprimés et restent chez eux à regarder la télévision. Ici, j'ai trouvé les gens assez plaisants, assez vivants, quoique un peu désarçonnés par la Révolution, et qui veulent concrétiser leurs espoirs, et puis il y a beaucoup de femmes dans la rue...