Au moment où l'on s'emploie à ériger un mur à la frontière libyenne, les Douz Doc Days se préparent à accueillir à l'occasion de leur 5èmeédition (12-17 octobre 2015), le cinéaste libyen Tarek Aboubaker el Houni pour découvrir à travers ses films documentaires, des images qui ne nous parviennent pas faute d'échanges culturels. La signification de cette programmation est de toute évidence, une main tendue pour la connaissance réciproque avec un pays limitrophe et cependant méconnu. Mais qui comprend cet enjeu et ces implications à l'échelle maghrébine ? Indifférentes, les institutions se montrent de moins en moins à l'écoute et peu disposées à subventionner ce festival excentré, qui explore les confins comme pour baliser le territoire national, aux portes du désert et concrétiser, de ce fait, la notion de décentralisation culturelle. Plus que jamais, cette manifestation en pleine croissance a besoin de sollicitude. Les premiers temps, le British Council et l'Institut Arabe des droits de l'Homme accompagnèrent le démarrage et la mise sur pied de ce projet culturel et citoyen. Mais depuis deux ans, les bailleurs de fonds se désintéressent laissant ce festival totalement à sec. Pourtant, les Douz Doc Days ne déméritent pas. Elles autofinancent les préparatifs de la 5ème édition puisant, malgré l'aridité de la conjoncture, leurs forces dans une ligne éditoriale enracinée dans le terroir. Le programme adapté aux spécificités de cette région saharienne est fait sur mesure pour répondre aux attentes d'une jeunesse locale privée d'images tout en posant des problématiques actuelles essentielles qui attirent les cinéastes émergents, à la recherche d'espaces de dialogue favorisant l'exercice de la liberté d'expression. La compétition nationale dotée d'un grand prix (le Dromad'or d'un montant de 5 000 Dinars) est devenue un véritable lieu d'émulation. Cette année, des films de jeunes et même de novices se mesureront à des œuvres de réalisateurs confirmés dans le but d'abolir les clivages entre les générations. « L'essentiel est que la qualité prime », selon l'universitaire Ons Kamoun, responsable de la sélection. Le jury international des Douz Doc Days a toujours placé la barre assez haut, ce qui confère au Dromad'or, une indéniable crédibilité. Le producteur Mozambicain Pedro Pimenta, actuel directeur du festival de Durban, en Afrique du Sud, a déjà confirmé sa participation de même que le palestinien Saed Andoni qui viendra présenter les travaux de ses étudiants de l'école d'art de Bethlehem (Dar El Kalima). Des soirées spéciales avec des films internationaux récents comme « Patience patience, t'iras au paradis » de la journaliste belge Hadja Lahbib ou « Le bouton de nacre » du chilien Patricio Guzman souligneront la dimension internationale de ce festival qui se veut un pont entre Orient et Occident. Une première mondiale est également prévue avec la présentation d'un volet (tourné à Douz) de la série intitulée « Le retour des Camélidés ». Destinée à la chaîne franco-allemande Arte, cette série en triptyque devrait être diffusée au cours de l'automne 2015. L'épisode consacré au dromadaire sera dévoilé au public en présence de journalistes français qui accompagneront les réalisateurs François Brey et Patrice Desenne sur les lieux mêmes du tournage. Cet événement prendra bien évidemment la dimension d'un hommage à la région faisant, du même coup, la promotion du tourisme saharien, en cette période de crise que connaît le secteur. « Transhumance et citoyenneté », est le titre d'un cycle de films traitant du nomadisme pastoral dans différentes contrées, des Carpates à la Scandinavie en passant par le Sahara. Une exposition de photographies de Wassim Ghozlani, illustrant ce thème, fera écho à des films comme « Close to heaven » du Roumain Titus Taschina également pressenti au jury. Un ciné concert sera le clou du festival. En choisissant un film culte comme Le fils du Cheikh, en faisant traduire les intertitres par Hasna Touati et en faisant composer une musique pour être jouée en live par un orchestre sous la direction de Slim Baccouche, le festival s'approprie en quelque sorte un film américain de 1926 comme pour évaluer la nature du regard porté sur l'Orient au cours de la période coloniale. Mais cela a-t-il vraiment changé ? Marie Gautheron présentera, diaporama à l'appui, des œuvres de peintres orientalistes du 19ème siècle qui ont documenté la vie en milieu saharien. Précurseurs du cinéma documentaire, ces artistes ont participé à tout un mouvement de colonisation et ont influencé l'imaginaire occidental par des représentations souvent stéréotypées. Cette conférence sur l'histoire de l'art engagera nécessairement un débat sur le point de vue qui se poursuivra au cours de la table ronde intitulée « Filmer le Sud, Filmer au Sud », alors que le concours de photographie, « Douz aux yeux des femmes » ramènera la question de la représentation, à la réalité pratique, la plus locale et la plus immédiate. Ainsi les Douz Doc Days militent-elles pour que l'image ne soit pas le privilège du nord sur le Sud et pour créer dans nos contrées des conditions de diffusion favorisant la possibilité de produire des représentations de notre environnement en toute souveraineté. En organisant la Rencontre des Directeurs de festivals nationaux de cinéma, les Douz Doc Days pensent fédérer les festivals régionaux dans le but d'harmoniser le calendrier et la périodicité de ces manifestations pour la plupart indépendantes et émanant de la société civile, avec l'ambition de favoriser une synergie, des échanges et surtout une complémentarité aux niveaux des lignes éditoriales de ces rencontres dédiées au cinéma. L'objectif est que ces festivals puissent constituer un réseau et qu'ils aient chacun son caractère spécifique. Cette première rencontre ne pourra qu'aider le Centre National du Cinéma et de l'Image (CNCI) à constituer une banque de données permettant de mieux baliser ce secteur d'activité encore peu évalué. Conseiller au Ministère de la culture, Adam Fathi qui est originaire de la région de Douz et qui a également été membre du jury de la deuxième session du festival, sera le président d'honneur de cette 5° édition. Cette marque d'honneur à un grand poète se veut de la part de Hichem Ben Ammar, instigateur et fondateur du projet, un geste plein de sens envers le Ministère pour appeler à son implication active et naturelle, à un stade de l'évolution d'un festival qui tient ses promesses et dont le cinquième anniversaire constitue plus qu'un défi, un tournant décisif.