La création du Forum de la famille destourienne par des dirigeants et des membres fondateurs du mouvement Nidaâ Tounes vient d'accentuer les dissensions au sein de ce parti traversé par des courants hétéroclites et de prouver, si besoin est, que la mayonnaise préparée à la hâte par Béji Caïd Essebsi a encore du mal à prendre. Les fondateurs de ce forum parmi lesquels figurent des dirigeants du parti créée en juin 2012 pour assurer un contre-poids au parti islamiste Ennahdha, alors au pouvoir, viennent de jeter un pavé dans la mare en affirmant que les islamistes et le destouriens ont un grand père commun, en l'occurrence le cheikh Abdelaziz Thaâlbi, un zeïtounien qui a passé une bonne partie de sa vie à prêcher la bonne parole pour montrer que l'Islam n'était pas incompatible avec la civilisation moderne et qu'il n'empêchait pas le progrès, tout en s'opposant énergiquement à la vision des choses de Habib Bourguiba. Présentée comme étant une association, ce forum qui regroupe, entre autres, Abderraouf Khammassi, Nabil Karoui, Oussama Khelifi, Khaled Chouket et Houaïda Klaîi, se donne clairement pour mission d'assurer la cohabitation entre les destouriens et les islamistes. «Nous souhaitons réunir les destouriens et les islamistes sous le même toit. Ce sont là les principaux éléments de l'identité tunisienne qui a failli mourir disparaître à force d'être tiré vers la droite et la gauche», avait expliqué Nabil Karoui, le remuant patron de la chaîne privée Nessma TV, lors de la conférence de presse consacrée à la présentation du forum. Et de renchérir : «Nous sommes un mouvement centriste, destourien et islamiste». Ce mélange de genres n'a pas visiblement plu au secrétaire général du parti, Mohsen Marzouk, qui a estimé que les initiateurs du forum agissent en connivence avec d'autres «parties qui souhaitent affaiblir Nidaâ Tounes». M. Marzouk a menacé de dévoiler l'identité de ces parties dans les semaines à venir de ces parties qui cherchent selon à diviser le parti vainqueur des dernières élections législatives et présidentielle. «Ces gens attisent les dissensions au sein du parti par des articles dans certains journaux en propageant l'idée que les destouriens de Nidaa sont mieux que ceux issus de mouvances de gauche», a-t-il déclaré dans un entretien accordé à Radio Kalima. Guerre de positions M. Marzouk a aussi affirmé que le grand père de Nidaâ Tounes est Habib Bourguiba, fondateur du Néo-Destour en 1934 et premier président de la république tunisienne, et non Abdelaziz Thaâlbi, fondateur du parti Destour, en 1920. «Nous sommes de nouveaux bourguibistes et les militants de Nidaa n'ont aucun parent commun avec aucun parti avec qui nous divergeons idéologiquement», a-t-il précisé, dans une allusion claire au mouvement Ennahdha, dont certains dirigeants commencent à revendiquer l'héritage destourien à travers Abdelaziz Thaâlbi. «Certaines parties étrangères essaient de voler la victoire électorale de Nidaa mais le parti est unifié et il est l'héritier du mouvement national moderniste», a encore martelé Mohsen Marzouk qui vise visiblement le clan du vice-président du parti, Hafedh Caïd Essebsi, lequel s'est envolé récemment pour Ankara, où il a notamment rencontré Recep Tayyip Erdoğan, le président turc et le président d'honneur du parti islamo-conservateur AKP. Selon certains observateurs, Nidaâ Tounes n'est nullement traversé par des vrais clivages identitaires et une dualité de projets entre une frange conservatrice et une autre laïque. «On a bien du mal à croire que des personnes comme Raouf Khammasi qui était membre du comité central de l'ancien RCD depuis le congrès de 1998, ou Nabil Karoui dont la chaîne a diffusé le fameux film Persépolis où l'on représente Allah se sont soudain découverts une sensibilité islamiste», assure un dirigeant de Nidaâ Nidaâ Tounes. Ce dirigeant qui a contribué à la création du parti estime qu'il est trompeur d'appliquer qu'une grille de lecture clivée opposant des démocrates laïques à des conservateurs sensibles aux thèses islamistes au sein de Nidaâ Tounes, indiquant que la querelle de clocher autour de l'identité de la formation fondée par Béji Caïd Essebsi se situe plutôt dans le cadres d'une «guerre de positions» entre la tendance destourienne et celle de gauche à quelques mois du premier congrès prévu début 2016.