Un livre vient de paraître en Suisse aux éditions Infolio. Il traite pourtant de deux grandes figures de la scène littéraire et artistique française du XXe siècle : André Malraux et Pablo Picasso. Son auteur est Raphaël Aubert et son titre Malraux et Picasso : une relation manquée. Voilà un titre qui peut surprendre si l'on songe que Malraux avait consacré tout un livre à Picasso en 1974 sous ce titre : La Tête d'obsidienne. Mais il suffit de lire le texte de M. Aubert pour comprendre le sens de ce titre. En effet, il démontre, en s'appuyant, entre autres, sur L'homme de l'art D. H. Kahnweiler (1884-1979) de Pierre Assouline, Le siècle de Picasso de Pierre Cabane et André Malraux ministre de l'irrationnel de Charles-Louis Foulon, que les relations entre Malraux et Picasso sont marquées voire polluées par une série de malentendus. Dans une première partie biographique, très documentée d'ailleurs, M. Aubert relate la rencontre entre ces deux personnages autour de Max Jacob et de Kahnweiler. L'apprenti écrivain et le peintre font ainsi connaissance dans les milieux avant-gardistes de Montmartre. Leurs rapports deviendront plus étroits au moment de la guerre d'Espagne grâce à la fois à leur engagement en faveur des Républicains espagnols et à leur oeuvre littéraire et artistique. C'est l'époque où Malraux écrit L'espoir et où Picasso peint Guernica. Mais l'adhésion de Picasso au parti communiste français et l'engagement aux côtés du général de Gaulle conduiront sinon à une hostilité larvée du moins à un éloignement presque définitif. Ce qui conduira à un échange de lettres peu amènes entre les deux hommes au moment de l' « Hommage à Pablo Picasso » au Grand Palais en 1966. Ils semblent désormais que le ministre et le peintre n'aient plus rien à se dire sinon un : « Croyez-vous que je sois peintre ? » de Picasso auquel répondra un : « Croyez-vous que je sois ministre ? » de Malraux. Pourtant, la visite par Malraux de l'exposition des dernières oeuvres de Picasso au Palais des Papes en 1973 et de l'atelier du peintre à Mougins quelques semaines après la mort de Picasso d'une part et l'écriture de La Tête d'obsidienne d'autre part scellent la réconciliation entre les deux personnages. Aussi, dans la seconde et dernière partie de son livre, Raphaël Aubert interroge-t-il La Tête d'obsidienne pour mettre en lumière les points communs entre l'oeuvre littéraire de Malraux et l'oeuvre d'art de Picasso. C'est ainsi qu'il souligne qu'il existe une parenté voire une proximité entre la notion de « Musée imaginaire » inventée par Malraux et célébrée par la Fondation Maeght en 1973 et le travail de confrontation intertextuelle auquel se livre Picasso avec ses prédécesseurs. Madame Khodari Pacha Toutefois, le livre de M. Aubert réserve davantage de place aux renseignements biographiques qu'à l'analyse des oeuvres de Malraux et de Picasso. On peut, par exemple, regretter, que Raphaël Aubert n'ait pas mis en rapport le fait que cette ‘tête d'obsidienne' n'existe pas et la présence du farfelu dans les écrits sur l'art et dans les autres volumes duMiroir des limbes tels que Hôtes de passage. On songe à la scène de voyance à laquelle assistent Malraux et George Salles chez Madame Khodari Pacha au sujet d'une étoffe rappelant Alexandre le Grand. Cette relation entre l'art et l'irrationnel mériterait un plus ample développement. Par ailleurs, il n'existe aucune comparaison entre les méthodes d'écriture et de peinture de Malraux et de Picasso ni aucune analyse comparée de leurs oeuvres. Or il me semble qu'on pourrait valablement mettre en rapport le concept d'intemporel dont Malraux fait la caractéristique principale de l'art moderne et le travail de déconstruction artistique auquel se livre Picasso. Un réflexion sur l'art comme absolu, chez ces deux artistes, aurait été souhaitable dans cet ouvrage qui n'en reste pas moins un beau livre.