Par Hamma HANACHI La parole des peintres n'est pas fréquente, mais précieuse, non seulement, celle des peintres théoriciens, les Klee, Kandinsky ou Tapiès, mais ceux qui ont bouleversé l'art sans écrire d'ouvrages, Picasso, Miro, Warhol, etc. Maintes formules ont été saluées par des écrivains et poètes, René Char, Michel Leiris, Bonnefoy... Citation choisie parmi mille autres : « Je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que je pense», Picasso résumant l'art moderne lui, qui à 16 ans savait dessiner comme Raphaël et ne cherchait par la suite qu'à savoir peindre comme un enfant. La semaine dernière, invité à une matinale télé de Watania 1, une phrase a attiré notre attention, l'artiste Ahmed Zaïm, qui vit, travaille à Lucerne en Suisse, et expose actuellement au Palais Kheïreddine, ( jusqu'au 26 février) a cadré son travail dans le paysage tunisien. Au détour d'une réponse, il dit : «...moi j'ai vécu et été formé dans un contexte allemand». Autrement dit, il y a une école influente en Tunisie, l'école française, l'allemande et l'américaine, plus dynamiques sont absentes ou non apparentes. Rencontre, l'homme est affable, d'une culture honnête, on lui soumet la phrase, il répond : «La formule n'est pas polémique, mais depuis cinquante ans, l'art américain domine le monde, son pendant en Europe est à mon sens l'art germanique». Effectivement son art est puissant, éminemment moderne, visiblement influencé par l'art nordique. On ose une approche «dans le sillage de l'expressionnisme abstrait ou de l'abstraction lyrique», il accepte discrètement. Une chose est sûre, Zaïm soumet la réalité à ses états d'âme, ses toiles monumentales nourries de motifs débordent d'émotions et dénotent d'une réaction de violence à la réalité ambiante. Image pour expliquer le processus de sa création: «Je suis une éponge, j'absorbe tout, jusqu'au moment où mes émotions éclatent, le jus de l'éponge se dégage naturellement ». Encore une formule à méditer. *** On a enterré ses idées trop tôt, les voici qui remontent à la surface grâce à un livre écrit par sa femme. Suzanne Taha Hussein, vient de publier Avec toi, sous- titré, de la France à l'Egypte, un extraordinaire amour Suzanne et Taha Hussein (1915-1973) Ed. du Cerf. Leur petite fille Amina Taha-Hussein-Okada a préfacé le livre, invitée, vendredi à Cultures d'Islam de Abdelwahab Meddeb, sur France Culture, elle présentait l'ouvrage évoquant ses grands parents : «Elle retenait tout ce qu'il disait, visiblement tenue à l'ombre de son mari, pourtant, elle a joué un rôle essentiel dans la production littéraire et intellectuelle de mon grand-père. Chaque détail, la couleur du ciel, la lumière du soleil, une branche tordue, un tableau..., c'est elle qui lui décrivait tout, absolument tout.» Suzanne accompagnait Taha Hussein tout au long de sa prodigieuse trajectoire. L'écrivain, le penseur, fondateur de l'Université d'Alexandrie et ministre de l'Education , se sentait investi d'un immense destin «sa bataille est encore à l'ordre du jour», ajoute, Amina Okada, en sa qualité de journaliste, il avait un rôle majeur dans la vie intellectuelle et politique de l'époque, « En cette période d'intolérance, de fanatisme religieux, de rejet, la lecture ou la relecture de ses ouvrages est aujourd'hui capitale, mettre en lumière les combats de l'homme ,c'est faire œuvre utile». De tous les écrivains arabes, Taha Hussein était celui qui avait l'envergure du Prix Nobel, personne n'en disconvient, Amina ajoute : «Ce qui est important aujourd'hui, c'est qu'il soit lu. Découvrir ou redécouvrir Le Livre des jours, L'appel du courlis ou sa correspondance avec Gide, c'est prendre conscience de l'intelligence d'un homme qui a milité pour la modernité» . L'intellectuel éclairé fut un combattant héroïque contre la bigoterie et l'aveuglement, sa querelle avec les courants religieux de l'époque à propos de son étude de la poésie antéislamique, lui a valu d'être accusé d'hérésie, doublée d'un lynchage juridique ignoble et son expulsion de la fonction médiatique. Mais rien n'arrêtait son enthousiasme. «La jeunesse et l'avenir était en lui», souligne Amina qui évoque sa foi en l'échange, son penchant pour la fécondation des connaissances étrangères et son ouverture sur l'altérité, il affirmait dans ce sens «La Grèce est en nous».