A 23 ans, Alaa Eddine Hamdi a à peine entamé son parcours d'adulte qu'il a déjà vécu une expérience inoubliable. Son regard timide et son sourire discret ne laissent rien deviner de sa hardiesse et de son sang-froid. Mais en réalité, Ala Eddine est un héros des temps modernes. Certes sans cape ni épée, mais un héros quand même. En mars dernier, alors que des terroristes ouvraient le feu sur les visiteurs du musée du Bardo, le jeune homme a fait preuve d'un courage exceptionnel et a pu sauver plus d'une trentaine de vies. Au risque d'y laisser la sienne! Aujourd'hui encore, les scènes du carnage restent gravées dans la mémoire de Ala Eddine. La colère et la rage ont désormais cédé la place à l'incompréhension et au dégoût, mais jamais à la peur. Le jeune homme travaille au musée du Bardo depuis octobre 2012. Il connaît ses moindres recoins et s'y promène avec l'aisance d'un habitant des lieux. Quelques temps avant l'attentat, le jeune homme a suivi une formation de secouriste. Il voulait apprendre à sauver des vies, au cas où il serait confronté un jour à un accident avec un ou plusieurs blessés. Mais en suivant ces cours, jamais Ala ne s'attendait à vivre pareille horreur. Jamais il ne s'imaginait que des hommes armés s'introduiraient dans l'enceinte du musée du Bardo et s'attaqueraient à d'innocentes victimes, principalement des touristes venus découvrir la Tunisie et en apprendre plus sur l'Histoire et sur l'Humanité. Pour Ala Eddine comme pour toutes les personnes présentes sur les lieux ce jour-là, on ne ressort pas indemne d'une telle expérience macabre. Certains y ont perdu une épouse, un frère, un ami... D'autres y ont perdu la foi en l'Homme et ont appris à leurs dépends qu'un esprit embrigadé est capable des pires horreurs. Instants d'horreur Jusqu'à aujourd'hui, Ala Eddine se pose des questions sur cette triste journée du 18 mars 2015. Il est midi trente passé quand les premiers coups de feu retentissent dans l'enceinte du musée. Le jeune homme se trouve à cet instant au premier étage, dans la salle réservée à l'ère paléochrétienne qui mène à la grande salle de Carthage. Même s'il ne voit rien de son emplacement, le jeune homme a immédiatement un mauvais pressentiment. Il confiera à des confrères journalistes français, venus l'interviewer quelques jours après l'attentat, qu'il a tout de suite compris deux choses: que c'était grave et que les assaillants ne maîtrisaient pas l'infrastructure architecturale du musée et les différents blocs qui constituent ce bâtiment. Prenant son courage à deux mains, Ala Eddine se rue dans le couloir et va à la rencontre des touristes. Il entraînera tous ceux qu'il croisera dans la salle 14 dont il barricadera la grande porte. C'est là, dans cette galerie qui abrite la fresque murale en mosaïque intitulée « Le triomphe de Neptune » que le groupe constitué de pas moins de 35 personnes patientera pendant plus d'une heure, la peur au ventre, dans un silence pensant. N'ayant pu fermer la deuxième entrée de la salle 14, Ala Eddine pèse de tout son poids sur le battant de la porte pour l'empêcher de s'ouvrir au cas où les assaillants la forceraient. Puis, n'y tenant plus, il sort de sa cachette une première fois et récupère d'autres visiteurs livrés à eux-mêmes et les met à l'abri. Il ressortira une deuxième fois et se trouvera rapidement face aux agents de la Brigade anti-terrorisme qui le prennent d'abord pour l'un des tueurs et l'immobilisent puis, vérifiant son identité, ils l'accompagnent jusqu'à la salle 14 pour libérer tous les présents. Et maintenant ? Quelques heures après, Ala Eddine sera longuement interrogé à El Gorjani pour s'assurer qu'il n'est pas complice avec les tueurs. Il y passera une nuit et en gardera un amer souvenir d'autant plus qu'une fois libéré, il apprendra que la santé de sa mère ainsi que celle de son père ont pâti de cette épreuve. En parallèle, il recevra de nombreuses félicitations et remerciements de la part de touristes qu'il a sauvé et même d'inconnus ayant eu vent de son courage face à l'angoisse, face à la barbarie. Des messages qui lui font chaud au cœur et le remplissent de fierté. Ailleurs, ce héros de l'ombre aurait eu droit à un hommage national et aurait même été décoré pour son courage. Mais Ala Eddine n'a qu'un seul souhait. Il espère plus que tout que son geste, jugé comme héroïque par tous, lui permette de régulariser sa situation professionnelle. Près de neuf mois plus tard, il n'en est rien, malgré quelques promesses officieuses d'officiels l'ayant rencontré durant les différentes cérémonies ayant eu lieu au musée depuis l'attentat. Aujourd'hui, Ala Eddine erre sans fin dans les salles quasiment désertes du musée du Bardo, un lieu exceptionnel boudé par les visiteurs depuis mars dernier. Pourtant, ce lieu, c'est son refuge et les œuvres exposées sont sa grande passion. Ala Eddine est polyglotte et raconte avec fougue les tréfonds de l'Histoire. A chaque fois qu'il plonge dans le passé et raconte les différentes épopées historiques et surtout celle de son héros le guerrier Hannibal, son auditoire est immédiatement conquis. Mais pour le jeune homme, c'est surtout le présent qui pose problème car son avenir est incertain et les questions se bousculent sans cesse dans sa tête. Depuis trois ans qu'il travaille au musée du Bardo, il n'a ni contrat, ni fiche de paie, ni couverture sociale. D'ailleurs, il n'est payé que tous les trois mois un salaire de misère. Que de désillusions ! Il tient d'ailleurs à adresser un message à l'élite intellectuelle et aux officiels du pays. Sans langue de bois, il les interpelle ainsi: « Vous voulez sauver le pays de la dérive? Encouragez-nous les jeunes à travailler! Recrutez-nous ! Offrez-nous les moyens d'une vie digne et d'un travail décent. Nous autres, jeunes des cités populaires, étouffons dans notre quotidien! Nous manquons de vision et d'horizons! Ne vous étonnez pas après du nombre effrayant des jeunes qui adhèrent aux mouvances extrémistes. La précarité peut mener à tout, même à cela. Nous ne demandons pas l'aumône. Juste un travail! Est-ce trop vous demander ? »