Les correspondances d'auteurs ou de penseurs célèbres se font désormais via le Net à travers les différents réseaux sociaux et se posent en tant qu'une référence fort utile concernant des œuvres nouvelles ou anciennes, ou encore une question sociale, culturelle ou politique d'actualité, qui pourraient apporter une lumière nouvelle sur le sujet en question. Par le passé, ces échanges réguliers de courrier entre écrivains pouvaient servir de support à une œuvre épistolaire d'une valeur littéraire avérée, sauf quand ces lettres échangées sont fictives, elles donneraient alors naissance à un roman épistolaire, et dans ce cas, les exemples foisonnent, dans la littérature. D'ailleurs, les grandes idées des célèbres écrivains anciens ont été puisées dans les lettres qu'ils se sont échangées au cours de leur vie. De nos jours, les forums de discussion et les échanges d'opinion à travers la toile qui se déroulent entre les internautes d'un niveau assez élevé, sur un thème déterminé, font apparaître des prises de position différentes et des points de vue variés qui, une fois rassemblés sous forme d'une synthèse, pourraient faire l'objet d'une œuvre collective qui serait d'un grand intérêt éducatif et culturel pour le public. À ceux qui prédisent un sort funeste au livre à cause de la toile, le livre que nous présentons aujourd'hui apporte l'indéniable preuve que le numérique et le papier peuvent cohabiter, puisqu'ils présentent une suite d'échanges par mails entre écrivains sur les conséquences de l'immigration clandestine et la politique française face à ce fléau que les co-auteurs ont transformé ensemble sous forme de livre-imprimé. Nous avons donc entre les mains cet ouvrage collectif intitulé « « Il me sera difficile de venir te voir », publié aux éditions « Vents d'ailleurs ». C'est un ensemble de lettres, de messages échangés numériquement entre plusieurs individus de nationalités différentes, vivant dans des lieux différents que la Toile a réuni autour d'un sujet commun, d'une cause commune qu'ils ont décidé de défendre : l'immigration clandestine. Un sujet d'actualité très médiatisé dont les conséquences sont parfaitement visibles et néfastes (économiquement, socialement, culturellement, politiquement) pour l'ordre social. Cette pratique illégale dominée par des réseaux mafieux de passeurs sans scrupules qui exploitent la pauvreté de jeunes désœuvrés rêvant de l'Eldorado, en les embarquant vers des rivages inconnus et très souvent vers leur perte. Un fléau social qui entraîne aujourd'hui des milliers d'aventuriers prêts à tout, au risque de leur vie en effectuant des traversées maritimes, entassés souvent dans des embarcations de fortune où les normes de sécurité font défaut. Et dire que ces migrants clandestins tiennent en effet un pari fou, payé généralement très cher à ces réseaux qui les exploitent, et sans aucune garantie de réussite. D'après certaines statistiques, on évalue le revenu de ces trafics d'êtres humains au tiers de celui du trafic international de stupéfiants ! Cet ouvrage qui est né d'une initiative lancée par deux auteurs, Nicole Caligaris et Eric Pessan, présente treize correspondances littéraires entre auteurs d'horizons et d'origines divers. « Il me sera difficile de venir te voir » est un texte écrit collectivement dans le style épistolaire, groupant différentes personnes ayant subi, de près ou de loin, l'expérience de l'immigration clandestine et toutes ses retombées Les auteurs sont originaires d'Algérie, Burkina Faso, Cameroun, France, Maroc, Tchad, Togo... Et les auteurs qui ont contribué par leurs correspondances et leurs témoignages à cet ouvrage sont nombreux dont on peut citer à titre d'exemple : Jean-Baptiste Adjibi, Gustave Akakpo, Kangni Alem, Nicole Caligaris, Abdelkader Djemaï, Eugène Ebodé, Mohamed Hmoudane, Samira Negrouche, Nimrod, Eric Pessan, Sayouba Traoré... Sans se connaître, ces co-auteurs ont construit un échange via le net et tissé un lien intellectuel et moral autour de la question de l'immigration et de ses conséquences. Tout en s'interrogeant sur le rôle de l'écrivain ; ils ont créé un recueil de textes hétéroclites, des correspondances modernes par courriels qui cherchent à dépasser l'impuissance et la colère personnelle cachées au fond de nous face à ce phénomène qui ne cesse de s'amplifier malgré tous les risques courus. De là, ils souhaitent bousculer les écrivains, les médias et les lecteurs et les inciter à s'occuper davantage du sujet. A travers leurs correspondances, on peut lire leurs soucis, leur désarroi, leur angoisse, et leur détresse, mais aussi leurs espérances. Ils discutent, réagissent, s'indignent, s'emportent, s'émeuvent, crient, se plaignent, se révoltent, protestent, analysent, commentent, accusent, condamnent et espèrent. Ces co-auteurs expriment d'ailleurs leur projet en ces termes : « Ecrivains français, nous avons publié des textes individuels et des textes collectifs où s'exprime notre indignation, nous avons encore confiance dans le pouvoir des mots et nous avons l'intention de continuer, de ne pas cesser d'écrire que nous ne sommes pas indifférents à ces situations, à ces décès. Nous refusons de les accepter comme des dommages inévitables et de peu d'importance : nous les considérons, au contraire, comme des violences intolérables et les effets d'une politique dont nous n'avons pas fini de déplorer l'inconséquence. » Mais aussi, les co-auteurs relatent les faits, les atrocités endurées au quotidien, tout en s'indignant face au comportement du pays d'accueil envers ces clandestins, comme dans ce passage du livre où l'on peut lire: «Décès en nombre de migrants clandestins, contrôles d'identité au faciès, arrestations de personnes qui n'ont pas commis d'autre délit que de résider en France sans permis de séjour, rétention administrative, embarquements de force dans les avions - fût-ce au prix de la vie des personnes -, rafles dans les rues, sur les lieux de travail et, désormais, interpellations au domicile des gens, avec la terrible conséquence de provoquer des réactions de panique et de tragiques accidents. Chaque jour, en France, nous regardons notre pays dans le miroir que lui tend l'actualité, chaque jour, le reflet est plus difficile à contempler. Non seulement nous sommes scandalisés et terrifiés par le sort que notre gouvernement, que notre justice réservent aux immigrants sans visa mais nous voyons aussi, dans l'escalade de la répression menée et des violences qui l'accompagnent, une grave régression de notre république. »