Après avoir crevé le plafond, les prix des viandes rouges reviennent sur terre. La viande ovine qui a atteint un pic historique de 25 dinars se vend actuellement à entre 14 et 16 dinars le kg. Les prix de la viande bovine évoluent, eux, entre 10 et 16 dinars. C'est la sacro-sainte loi de l'offre et de la demande chère aux chantres de l'économie de marché qui a contribué à la détente des prix. Et puis «château de viande est vite abattu » comme dit le célèbre dicton. Mais la médaille a un sacré revers: la lente agonie de quelque 7500 boucheries. Selon les données de la chambre syndicale des bouchers relevant de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (UTICA), quelque 1500 bouchers ont déjà mis la clef sous la porte au cours des trois dernières années, tandis que les autres mangent leur pain noir. La chambre des bouchers explique cette situation peu reluisante du secteur par une baisse drastique de la consommation des viandes rouge. Prix exorbitants des viandes rouges oblige, bon nombre de Tunisiens ont troqué les côtelettes d'agneau grillés pour des brochettes de poulet ou remplacé le rôti de bœuf par des steaks de dinde. Les temps sont durs et la plupart des salariés comptent leurs sous. Conséquence: la consommation des viandes rouge a chuté de plus de 40% depuis 2013. Dans le même temps, la consommation du poulet a bondi de 40% et celle de dinde a enregistré une hausse de 35%. La baisse de la consommation des viandes rouges par les familles tunisiennes ne s'explique pas uniquement par la hausse des prix de ces denrées alimentaires. La forte contraction du secteur touristique consécutive aux attentats terroristes du Bardo et de Sousse qui ont fait plusieurs dizaines de morts parmi les touristes étrangers et la baisse du nombre des refugiés libyens dont le nombre avait dépassé les deux millions au lendemain de la chute du régime de Kadafi ainsi que les craintes des consommateurs de se faire flouer par certains bouchers adeptes du gain juteux et rapide qui commercialisent la viande asine comme étant de la viande bovine ont aussi contribué au recul de la consommation. La classe moyenne se paupérise... Mais au-delà de ces facteurs conjoncturels, force est de reconnaître que la classe moyenne qui constituait naguère la colonne vertébrale de l'édifice sociétal tunisien s'est rétrécie comme une peau de chagrin ces dernières années. Selon les dernières données l'Institut national de la statistique (INS), la classe moyenne ne représente plus actuellement que 53% de la population tunisienne, contre 84% en 1984 et 70% en 2010. Selon le ministère des Finances, la classe moyenne tunisienne regroupe 1,9 million de travailleurs répartis entre le secteur public, les professions libérales et le secteur privé. 60% des employés appartenant à cette classe perçoivent un salaire inférieur à 800 dinars par mois, et 33% touchent un salaire mensuel de moins de 400 dinars. Certains experts estiment en revanche que ce chiffre de 1,9 million de personnes est exagéré dans la mesure où la proportion des salariés touchant moins de 400 dinars par jour ne peuvent plus désormais figurer dans la classe moyenne. L'universitaire et spécialiste des risques financiers, Mourad Hattab rappelle, dans ce cadre, que la classe moyenne se caractérise selon les normes internationales par les personnes ayant un pouvoir d'achat journalier compris entre 8 dollars (15,9 dinars par jour ou 477 dinars par mois) et 20 dollars (39,8 par jour ou 1180 dinars par mois) en parité du pouvoir d'achat. Un récent sondage de l'Observatoire de protection du consommateur et du contribuable révèle d'ailleurs que la paupérisation rampante de la classe moyenne est bien réelle. Il souligne, en effet, que 47% des salariés dépensent la totalité de leurs revenus entre le 12è et 13è jour de chaque mois. Ce même sondage fait ressortir que 17% des familles tunisiennes ne consomment plus de la viande et 38% des familles font leurs emplettes dans les espaces commerciaux spécialisés dans la vente du producteur au consommateur pour tenter de juguler la flambée des prix des produits alimentaires. Selon les experts, la classe moyenne risque de se réduire davantage sous l'effet de la réforme programmée de la Caisse générale de compensation (CGC).