Les prix des viandes rouges sont hors de portée : cela n'arrange ni les bouchers, ni les consommateurs Depuis quelque temps, les bouchers souffrent d'un manque à gagner, vu que plusieurs consommateurs n'achètent plus de la viande. Certains sont allés jusqu'à décider de fermer boutique en attendant des jours meilleurs. Pourtant, la viande constitue un élément nécessaire dans la préparation des différents plats tunisiens. M.S, un consommateur rencontré au marché central a manifesté sa désapprobation, indiquant que compte tenu du prix de la viande ovine et bovine qui peut atteindre les 22 dinars, il est obligé de se rabattre sur les viandes blanches (poulet et escalope) qui sont moins chers mais dont les prix sont également élevés. Cette opinion est partagée par plusieurs consommateurs qui sont obligés d'abandonner, ne serait-ce que pour une période déterminée la consommation de la viande rouge. Pourtant, le ministère du Commerce a fixé, il y a quelque temps et de façon provisoire, le prix de la viande pour permettre aux consommateurs de s'y approvisionner sans grever leur budget. Mais cette solution, même si elle a allégé un tant soit peu les charges de la famille, n'a pas résolu pour autant le problème dans la mesure où le prix des viandes rouges sont restés à un niveau quand même élevé. Principe de l'offre et de la demande Une telle mesure a été décriée aussi par les bouchers qui estiment que la fixation des prix à ce niveau ne leur permet pas d'avoir un prix de revient raisonnable. Un boucher au même marché estime même que «la fixation des prix n'est pas une solution ni pour les consommateurs et encore moins pour les producteurs et les commerçants». Et d'ajouter qu'une telle mesure «n'est prise dans aucun pays qui opte pour la loi du marché et le principe de l'offre et de la demande». Les boucheries, qu'elles soient à l'intérieur du marché central de Tunis ou dans les rues environnantes sont visiblement désertés. Les prix affichés font fuir les consommateurs : le prix de la viande bovine est écoulée à 20 dinars alors que la viande ovine est proposée jusqu'à 24 dinars. Mme Khalthoum, femme au foyer, semble révoltée : «Je n'arrive même pas à acheter les abats qui étaient pourtant vendus à prix dérisoire autrefois», se plaint-elle. «Certains bouchers laissent de côté les parties les moins chères comme celles de la tête ovine pour leurs clients fidèles. Les autres doivent payer le prix fort s'ils veulent goûter à la viande même une ou deux fois par semaine». Un boucher au marché de Sidi Bahri lance un appel au secours et appelle les autorités compétentes à prendre des mesures urgentes en vue de sauver ce qui reste des boucheries. «Nous ne sommes plus en mesure de payer les charges de notre activité», confirme-t-il. «On admet que les prix des viandes rouges sont élevés mais cela ne dépend pas des bouchers. Les éleveurs ont des charges eux aussi qui deviennent de plus en plus élevées à commencer par l'alimentation dont une partie est importée». Des charges qui augmentent En effet, les fourrages constituent le premier problème des éleveurs qui doivent faire face à une conjoncture peu favorable caractérisée par une hausse des prix de cet aliment. C'est un problème qui date depuis une longue date et aucune solution radicale n'a été trouvée pour le résoudre. Selon un autre boucher, le secteur de la viande rouge souffre aussi de l'abattage anarchique. «Dans certaines routes, des éleveurs n'hésitent pas à sacrifier leur cheptel dans des conditions peu hygiéniques pour gagner un peu d'argent car ils ne peuvent plus entretenir les animaux face aux charges qui augmentent en permanence». Il faut tenir compte aussi de la contre-bande qui a été à l'origine de la diminution de l'offre au niveau du marché local. Même si la situation a connu, au cours des derniers jours une accalmie — grâce au renforcement du contrôle au niveau des frontières et des principaux axes routiers - la vigilance doit être toujours de mise pour éviter la fuite des têtes ovines et bovines vers les pays voisins. Face à cette situation difficile et pour réguler le marché, l'Etat a procédé à l'importation des têtes ovines notamment au cours de l'Aïd El Idha. Une telle mesure vise, en définitive, à moraliser les prix et à améliorer l'offre. Cette importation n'a pas été bien accueillie par les éleveurs et les bouchers qui estiment que le cheptel national est en mesure — comme c'était toujours le cas d'ailleurs — de satisfaire la demande locale. Des importations d'appoint sont, cependant, possibles au cours de l'année pour éviter de sacrifier tout le cheptel. Cette opération d'importation se fait, bien sûr, par le ministère de l'Agriculture en concertation avec le ministère du Commerce qui veille surtout au contrôle et à la transparence des prix. Mais sans importations, les prix du mouton auraient été très élevés. D'ailleurs, l'affluence des acheteurs a été à son comble dans certains points de vente pour l'achat des moutons importés d'Espagne. L'augmentation des prix des viandes rouges est donc due à des facteurs endogènes et exogènes difficilement maîtrisables. Cela fait dire à un boucher de la place «nous n'essayons plus de faire des bénéficie mais juste à payer les charges pour maintenir notre activité». Les différents intervenants dans la filière des viandes rouges ont formulé un certain nombre de propositions pour assainir le secteur et contribuer à baisser les prix sans pour autant léser les éleveurs ni les bouchers. Il s'agit, en premier lieu, d'assainir le circuit de distribution en renforçant le contrôle sur les routes et les lieux d'abattage non autorisés pour rappeler à l'ordre les contrevenants. Les éleveurs devraient, de même, bénéficier d'avantages financiers et en nature (comme l'octroi de quantités de fourrages selon la taille de l'unité d'élevage) pour leur permettre de maintenir leur cheptel et éviter de le brader. Le contrôle des axes routiers est d'une grande utilité pour barrer la route devant les éventuels contrebandiers qui utilisent des moyens détournés pour faire des bénéfices en exportant illégalement une partie du cheptel national aux pays voisins. En attendant, les prix des viandes rouges sont toujours élevés, ce qui dissuade les consommateurs à s'en approvisionner, ne serait-ce que deux fois par semaine. Certains proposent aussi la classification de la viande à vendre à des prix différents pour que les consommateurs puissent acheter en fonction de leur budget, tout en permettant aux bouchers de préserver leur activité. Toutes les parties prenantes dans la filière doivent conjuguer leurs efforts pour améliorer le rendement depuis l'élevage en passant par l'abattage — à faire selon les règles établies et dans des les abattoirs agréés — et la commercialisation.