La situation en cette fin de premier trimestre 2016 rappelle, étrangement, la même période de l'année 2012 quelques mois seulement après la domination de la vie politique, à l'époque, par le parti Ennahdha après avoir remporté 90 sièges à l'Assemblée nationale constituante (ANC). A peine un mois après l'établissement de la Troïka, Béji Caïd Essebsi lançait sa fameuse initiative, le 26 janvier 2012, « pour rectifier le processus, instaurer l'équilibre partisan, seul garant permettant l'alternance au pouvoir, condition sine qua non d'une vie démocratique digne de ce nom. Le 20 avril de la même année, il publiait le célèbre « Appel de Tunisie » qui a donné son nom au parti de Nidaa Tounes, lancé le 16 juin et autorisé le 6 juillet 2012 Et deux ans et demi plus tard, ce parti devenait le premier du pays en raflant et les élections législatives et le scrutin présidentiel. Or, à peine trois mois après ces victoires, les prémices de la crise ont fait jour avant de se transformer en un véritable effritement. Entretemps, le parti islamiste Ennahdha se mettait en retrait et observait un discours inhabituellement raisonnable allant jusqu'à entreprendre, selon la majorité des observateurs, un retournement de 180 degrés. Du soutien inconditionnel et de l'alignement total sur les décisions du gouvernement Habib Essid et sur les positions de Béji Caïd Essebsi jusqu'à la substitution au pouvoir officiel, mais tout en étant ferme lorsqu'il s'agissait des imams, des mosquées, des écoles coraniques pour enfants et des associations dites de bienfaisance. En témoigne le limogeage du respectable ministre des Affaires religieuses, Othman Battikh qui, rappelons-le, avait eu le mérite de « reconquérir » la Grande Mosquée de la Zitouna investie de force par le charlatan Houcine Laâbidi avec la bienveillance de la Troïka. Tout en maintenant un profil bas et un discours, jugé par les analystes comme étant trop beau pour être vrai, le parti Ennahdha, par le biais de son leader, Rached Ghannouchi semble avoir poussé le bouchon un peu trop loin en se comportant en véritable chef de l'Etat. Accompagné detrois de ses lieutenants, qualifiés de « faucons », Ali Laârayedh, Mohamed Ben Salem et Rafik Abdessalem, M. Ghannouchi vient de se rendre en visite en Algérie où il a rencontré le président Bouteflika. Il avait reçu, quelques jours plus tôt à son domicile même à Tunis, le Premier ministre qatari, sans oublier que chaque fois qu'il y de la tension dans l'air, c'est encore lui qui se charge d'essayer d'éteindre le feu par ses déclarations volant, ainsi, au secours du pouvoir officiel. Et avec la division scellée de Nidaa avec le départ de près de 30 députés vers le bloc d'Al Horra, partisan du projet de Mohsen Marzouk, Ennahdha est devenu, réellement, le premier parti du pays. Ce qui fait revivre l'atmosphère de 2012 avec une domination écrasante d'Ennahdha et le morcellement des autres formations politiques. Ce paysage partisan, relativement identique à celui de 2012, a fait dire aux analystes, il y une vingtaine de jours, que si des élections venaient à avoir lieu en ces moments-là, le parti Ennahdha raflerait, haut la main, la mise ! Le parti islamiste, qui prépare son 10ème congrès, restait en embuscade et ses dirigeant ne se manifestaient que très rarement en public ou à travers les médias. Ils semblaient avoir retenu les leçons de 2012 lorsqu'ils multipliaient les bourdes en matière de communication et faisaient preuve d'une très grande confiance en soi frisant l'arrogance. On se rappelle que multipliant les promesses, notamment par Rached Ghannouchi lors d'une rencontre télévisée solennelle, quant au respect du délai d'un an par l'ANC, Ennahdha, aidé par ses deux associés le CPR et à un degré moindre Ettakatol, avait mené un véritable coup d'Etat en faisant prolonger indéfiniment le mandat de la Constituante. Mohamed Abbou allant jusqu'à menacer de potences ceux qui oseraient manifester leur opposition à la légalité de ladite ANC après le 23 octobre 2012. Ayant, donc, à l'esprit tous ces faits, des « sages » de l'extérieur de Nidaa et d'Al Horra auraient conseillé à ces deux parties d'agir tant qu'il est temps. Ils leur auraient, selon des sources proches des deux camps, de trouver une issue à leurs divisions car les municipales approchent à pas de géants, des élections qui serviront de test grandeur nature et dont les vainqueurs auront toutes les chances de récidiver lors des prochains rendez-vous électoraux. Les conseillers auraient soufflé qu'avec un paysage politique comme il l'est actuellement, la victoire du parti islamiste ne ferait aucun doute d'où l'émergence du même concept qu'en 2012, à savoir la nécessité d'un grand et seul parti face à Ennahdha dont le nouveau discours qualifié de « mielleux » ne passe plus, notamment après le « séisme » créé par la récente attaque terroriste avortée à Ben Guerdane. D'ailleurs, un fait est bien là. Depuis les événements de Ben Guerdane, l'opinion publique a eu une révision d'attitude, très visible à travers les médias et, surtout, à travers les réseaux sociaux qui se sont mis à se rappeler de ce qu'ils appellent comme étant le « laxisme » de la part des gouvernements de la Troïka, dominés outrageusement par Ennahdha, envers les extrémistes salafistes, les prédicateurs étrangers, les imams politisés, les associations aux fonds plus que douteux, etc. C'est donc prenant compte de toutes ces données que certains ont lancé la nouvelle initiative, signé par 50 personnalités, de coller les morceaux de Nidaa et réunir, de nouveau, tous les membres nidaïstes. Des tractations ont, en ces moments mêmes, avec toutes les tendances y compris ceux ayant démissionné ou gelé leur adhésion au parti. Reste que Mohsen Marzouk et ses « compagnons » semblent être allés très loin dans leur projet, ce qui complique, selon les proches, un éventuel renouement avec les origines. Mais, conscients, également, de cette donne, les initiateurs de la réconciliation seraient prêts, eux aussi ,à aller loin dans les concessions à savoir l'annulation de tous résultats du congrès de Sousse, la mise à l'écart ou en veilleuse de Hafedh Caïd Essebsi et l'engagement pour la tenue d'un congrès électif. Autrement dit, offrir toutes les garanties, aux membres du groupe M. Marzouk et tous ceux ayant quitté Nidaa, d'un retour du parti sur la bonne voie, celle des rails ayant constitué les fondements de sa naissance. Or, les auteurs de cette initiative savent bien qu'il faut tenir compte, dans ce cas, de l'attitude d'Ennahdha. Ce parti maintiendra t-il l'actuel langage et continuera t-il à faire bénéficier le gouvernement du même soutien ? Dans le cas contraire, les mêmes sources indiquent que BCE pourrait alors recourir à l'application de l'article 80 de la Constitution Le premier paragraphe de cet article stipule en substance : «En cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation et la sécurité et l'indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle, après consultation du Chef du gouvernement et du Président de l'Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la cour constitutionnelle. Il annonce les mesures dans un communiqué au peuple ». Sans spéculer quant aux diverses hypothèses des éventuelles mesures en question, il y a lieu de se poser la question suivante : « Une fois les choses arrivées à un pareil stade, jusqu'où ira Caïd Essebsi ? ». On n'en est pas encore là. Chaque chose en son temps