De l'appel à l'union nationale sacrée lancée par le président de la République et certains de ses partisans inconditionnels au sein du gouvernement, du parti de Nidaa et de celui d'Ennahdha, certains n'ont pas hésité à franchir le « mur du son » en appelant, ni plus ni moins, à une amnistie nationale. Après le tollé soulevé suite à la proposition faite par Béji Caïd Essebsi à propos d'une réconciliation nationale, dite « économique et financière», voilà que Lotfi Zitoun, éminence grise de Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha, qui prône, carrément une amnistie nationale. Et qu'on n'en parle plus ! Pour .M. Zitoun, il y a trop de haine et trop de tension que le pays ne peut plus supporter. Pour lui, il y a une nécessité, voire urgence d'instaurer un climat de pardon, d'union et de réconciliation en Tunisie « loin des adversités politiques, de l'esprit de revanche et des rancunes, qui n'aboutissent qu'à la prolifération de nouvelles victimes d'injustices ». « Nous parlons de ceux qui n'ont fait qu'appliquer les ordres dont certains hauts cadres de l'Etat qui arpentent depuis cinq ans les couloirs des tribunaux et des bureaux d'investigation », a écrit Lotfi Zitoun dans une tribune publiée, mardi 22 mars 2016, par un journal en langue arabe de la place. Avant d'enchaîner en précisant : « Nous ne parlons pas de ceux dont les crimes sont avérés, et mêmes ceux là, ont droit au pardon.. ». Une proposition pareille est-elle réalisable et raisonnable en cette conjoncture que traverse la Tunisie, notamment sur le plan sécuritaire ? Faut-il pardonner à tout le monde abstraction faite de la nature des délits commis par les uns et les autres ? Et si plusieurs partis politiques et autres acteurs de la société civile s'étaient opposés, avec virulence, au projet de loi de réconciliation économique avec un certain nombre d'homme d'affaires, on voit mal que ces mêmes parties acceptent l'instauration d'une amnistie nationale, expression inédite en la matière. En effet, après ce qui vient de se passer à Ben Guerdane et après cette psychose du fléau du terrorisme, de plus en plus menaçant pour le monde entier, on voit mal une adhésion à une pareille proposition, notamment de la part des partis de l'opposition de gauche et même de la part de partis tel Afek Tounes ou encore celui naissant, le Mouvement Machrou Tounes (MPT). Il faut dire que, désormais, les Tunisiens sont devenus allergiques à ce terme « d'amnistie » après les révélations faites sur l'identité des auteurs de certains attentats terroristes et qui n'étaient autres que des bénéficiaires de l'amnistie générale, des compensations financières et des recrutements dans la Fonction publique ! Les Tunisiens n'ont jamais digéré l'amnistie générale telle qu'elle a été conçue et accordée dans les moments de l'euphorie révolutionnaire en en faisant bénéficier des personnes ayant du sang sur les mains dont notamment les éléments appartenant au groupe dit de Soliman. Abou Iyadh n'appartient-il pas à ce groupe ? Or, au nom de cette amnistie et sous prétexte qu'il était opposé à Ben Ali, il a été classé dans la même catégorie des autres opposants politiques alors qu'il n'a rien de politicien ni d'opposant dans le sens classique du terme puisqu'il s'agissait de quelqu'un qui avait porté les armes pour tuer. Et à ce titre, Abou Iyadh ainsi que son mouvement d'Ansar al-Chariâa étaient tolérés allant même jusqu'à s'afficher sur les plateaux télévisés où ils propageaient leurs théories prônant le changement radical du projet de société, encouragés ou, du moins, tolérés, à l'époque, par un comportement ambigu et laxiste des gouvernements de la Troïka. Or, venant d'un gros bonnet d'Ennahdha, cette proposition aurait, de l'avis des analystes, peu de chances d'aboutir car le parti de Rached Ghannouchi devrait, selon les mêmes observateurs, se blanchir lui-même et clarifier ses positions et ses orientations d'ici la tenue de son 10ème congrès prévue au cours du mois d'avril prochain En effet, les partis progressistes et modernistes ainsi qu'une partie de la société civile réclament aux dirigeants d'Ennahdha, autre chose que de simples paroles. Certains exigent, tel Mohsen Marzouk, initiateur du MPT, une charte en bonne et due forme émanant dudit congrès et signée par le président du parti explicitant, noir sur blanc, que le mouvement devient officiellement une formation à vocation civile et sans la moindre référence religieuse. Ce parti est appelé à mentionner officiellement qu'il s'engage à séparer le politique du prêche et à respecter scrupuleusement la neutralité des mosquées. D'ailleurs, certains voient dans la future proposition d'un projet de loi interdisant le port du niqab dans les lieux publics comme étant un test grandeur nature et significatif sur le sérieux du langage mielleux tenu depuis un certain temps, par tous les dirigeant d'Ennahdha, à travers les médias et sur les plateaux radiotélévisés. En effet, les observateurs attendent avec impatience et curiosité l'attitude des élus d'Ennahdha face à ce projet de loi, appuyé et soutenu, éventuellement, par d'autres partis politiques tels Afek Tounes et, surtout, le Front Populaire. Bon à rappeler que Rached Ghannouchi avait signé l'engagement, en 2011, stipulant le respect du délai maximum d'un an pour le mandant de l'Assemblée nationale constituante (ANC), un engagement réitéré, solennellement, par le président et d'autres barons d'Ennahdha, mais qui avait été bafoué et mis dans les oubliettes dans le sens où ce mandat a tiré en longueur et en largeur atteignant plus de trois ans. Et encore, il a fallu le célèbre sit-in du Bardo et le dialogue national chapeauté par le Quartet pour qu'Ali Laârayedh daigne, enfin, quitter la présidence du gouvernement et remette les clefs de La Kasbah à son successeur Mehdi Jomâa. D'où l'intransigeance constatée, de nos jours, face à Ennahdha malgré le profil bas adopté par tous ses dirigeants au point que tout le monde se dit très étonné par la nouvelle orientation et préfère attendre une vérification dans des cas concrets pour croire au nouveau langage, dans le sens où pas mal de fois, par le passé, le parti islamiste a dû faire volte-face sous la pression de sa base pas toujours « suiveuse » de la direction. Pour revenir à cette proposition d'amnistie nationale, les analystes relèvent qu'elle va plus loin que celle de BCE concernant la réconciliation économique et financière. Et c'est cette manière d'aller plus loin que le pouvoir pour certains faits que l'opinion publique a l'air de dire que le discours du parti islamiste est trop beau pour être vrai...