L'oubli n'est pas venu ensevelir, d'une chape de plomb, son souvenir. Parce que, ce que la mémoire collective retient, nul mensonge, fut-il par omission, nulle supercherie, surtout si elle a été ourdie, dans l'objectif de ponctuer de blancs, des pans entiers de l'histoire, la grande, la trafiquant à dessein pour la réécrire à volonté, selon un scénario qui serait à l'avenant pour ceux qui ont peur de la vérité, belle et farouche, lorsqu'elle s'avance à visage nue, sans fards et sans ciller, ne craignant pas de regarder le soleil en face, certaine d'être dans son droit, et par conséquent, toujours reine et souveraine, ne baissant pas la tête, fière et conquérante, lorsque d'autres doivent amorcer une démarche de crabe, en avançant de biais, incertains de leur aura qui repose sur l'illusion d'une grandeur, dont ils sont, en réalité dépourvus, et d'une puissance factice, qui ne fait que trahir, irréductiblement leur impuissance avérée, face à la force d'un symbole, dont le simple fait de penser à convoquer le souvenir, ne peut que leur donner des sueurs froides... Un hiatus, un silence assourdissant, le ciel plombé d'un certain 6 avril 2000, et un deuil national qui n'avait pu se faire, le leader, le combattant suprême, le père de la Tunisie moderne et avant-gardiste, devant partir sans faire trop de bruit, pour ne pas effaroucher plus qu'à son compte, celui qui le craignait, tout aussi mort que vivant. Parce qu'il n'avait pas sa stature, et qu'il savait que dans le coeur des Tunisiens, tous âges confondus, le seul leader qui vaille, c'était bien Bourguiba. L'histoire, la grande, vient d'avoir sa revanche. Seize ans après, ce n'est pas seulement Monastir, sa ville natale, qui a choisi de commémorer le souvenir de sa disparition, endeuillant une nation toute entière, empêchée alors de pleurer son leader, mais toute la Tunisie, du nord au sud, d'est en ouest, qui sait ce qu'elle lui doit, pour avoir appris à évaluer, bien des fois à son corps défendant, la distance énorme, entre ce que Habib Bourguiba a donné à son pays, et ce dont l'ont spolié, sans scrupules et sans vergogne, ceux qui sont venus après lui, et qui, ne lui arrivant pas à la cheville, se sont arrogés le droit d'en pervertir l'héritage, en s'arrangeant avec l'Histoire. Pas pour longtemps puisqu'elle s'est retournée contre eux...