Cette entrée m'est inspirée par mon fils qui, à neuf ans, termine son année de CM1. Je lis dans son livre d'histoire une double page placée entre Clovis et Charlemagne où il est dit que l'Islam est une religion monothéiste datant du VIIe siècle, qu'elle a cinq préceptes et que ses armées ont conquis la plupart des pays bordant la Méditerranée. Bien sûr, en 732, les Arabes qui ont franchi les Pyrénées furent arrêtés par Charles Martel, à Poitiers. Pour montrer leur ouverture d'esprit, les auteurs ont cru bon d'ajouter, outre trois médaillons et une petite carte, un court paragraphe de faits désormais incontestables : « Les Arabes ont perfectionné les anciens systèmes d'irrigation : machines à puiser l'eau, canaux, roues élévatoires. Ils ont introduit des plantes nouvelles en Occident : Des légumes : haricot, lentille, concombre, melon, artichaut. Des fleurs : violette, rose, jasmin Des fruits : pêche, abricot, orange ». Enfin, les auteurs concluent : « Dans chaque ville, les artisans s'enorgueillissaient de leurs spécialités : produits de luxe, fines étoffes, travail des métaux et notamment des armes. Tous ces produits circulaient à travers tout l'empire musulman et parvenaient jusqu'aux foires et marchés d'Europe. » Tel est désormais, semble-t-il, l'enseignement du « fait religieux », à l'école publique. Faut-il applaudir ou faut-il le regretter ? Quoi qu'il en soit, il reste des efforts à faire, surtout si l'on considère que l'Islam est désormais la deuxième religion de France, après le christianisme. En quoi consiste donc l'apport de la civilisation arabo-islamique au patrimoine universel ? A cette question, quelques mercenaires se lancent dans une énumération sans fin. L'arabisant espagnol Juan Vernet est allé jusqu'à intituler l'un de ses livres Ce que la culture doit aux Arabes d'Espagne (1978). Quelques années plus tôt, en 1960, une femme, l'Allemande Sigrid Hunke, avait signé quant à elle Le Soleil d'Allah brille sur l'Occident (Allahs Sonne über dem Abendland). Aujourd'hui, d'une certaine manière, l'apport des Arabes à la civilisation est moins tangible qu'il ne l'a été, hormis dans les domaines visibles que sont l'architecture, la musique ou la gastronomie. Toutes ces notions seront développées dans ce dictionnaire amoureux. Moins connus sont les apports de l'islam dans la vie quotidienne. Pourtant, de nombreuses découvertes furent spectaculaires et décisives dans des domaines comme l'alchimie, la parfumerie, l'agronomie, la pharmacologie, l'hydraulique, la médecine, l'art de la table, la parfumerie et même le vin. Ainsi Ibn Kaissan(XIe siècle), que personne ne connaît en Occident, est-il un pharmacologiste et un droguiste important. Comme c'est souvent le cas alors, il était aussi médecin. On lui doit notamment une Pharmacopée (rédigée vers 1079) et un Abrégé des aromates (1093), tous deux composés à l'intention du calife ayyoubide Al-Azizs Othman qui régna de 1193 à 1198. Sa description des quatre aromates principaux – musc, ambre, bois d'aloès, camphre – est d'un grand intérêt historique. Mentionnons encore Ibn al-Baïtar (1190-1248), pharmacologiste et botaniste, dont l'œuvre a fortement influencé l'Europe au Moyen Age. Né à Malaga, en Espagne, surnommé le Prince des Herboristes, Ibn al-Baïtar a vécu au Caire, où il rédigea son Materia medica. A la même époque, en raison du développement extraordinaire qu'avait pris le négoce dans les grandes villes du Caire, de Damas, d'Alep, il avait fallu rédiger d'importants traités de jurisprudence commerciale (hisba). Mais Ibn al-Baïtar a laissé un autre ouvrage d'importance, la Somme des simples, dont l'influence fut déterminante sur la pharmacopée européenne jusqu'à la fin du XVIe siècle. Abû Dawûd al-Antaki (mort en 1599) retracera dans son Trésor de Dawud l'histoire de la pharmacologie arabe en remontant jusqu'aux sources grecques et latines, autrement dit au-delà de son prédécesseur. Que ce soit Ibn al-Baïtar pour la pharmaco-chirurgie ou le Sévillan Ibn al-Awam pour l'agronomie et l'herboristerie, mais aussi Ibn an-Nafis (1210-1288), le découvreur de la petite circulation sanguine- bien avant le théologien et médecin espagnol Michel Servet (1509-1553), brûlé vif par les calvinistes en raison de ses vues panthéistes -, ces savants méconnus ont su conjuguer un esprit scientifique à l'esprit de l'Islam. Dans le domaine des arts appliqués, les décorateurs, les menuiseries, les denandiers, les calligraphes et autres artisans musulmans ont eu eux aussi le goût du dépassement. Par leurs efforts, on peut aujourd'hui se prévaloir d'une certaine esthétique urbaine et d'un artisanat prospère. Ainsi donc l'Islam a permis des développements prodigieux dans les domaines les plus variés : mosaïque, verrerie, céramique, cuir, métaux, textiles, papier, etc. Sur le plan économique, les chèques, la douane, le bazar, les tarifs, le magasin et même la notion de risque datent de cet Empire. Les même apports sont observables dans le domaine abstrait. Que ce soit la logique, la grammaire, les mathématiques ou encore la philosophie et la fiction littéraire, on ne compte plus les travaux inspirés des innovations arabes y compris jusque dans le domaine culinaire. Les Arabes ont cultivé ou amélioré toutes sortes d'espèces végétales, tandis que les fruits les plus communs, l'abricot, la pêche, l'orange, le citron, le melon, la datte, le pamplemousse, le coing, la figue, le sésame ont été acclimatés, importés ou améliorés par eux. On leur doit l'agencement des mets dans un repas et leur accord en fonction de leurs saveurs, du goût des plats servis et de leur équation calorique...