Un grand cafouillage accompagne le scandale qui secoue le secteur de la santé publique depuis la révélation il y a quelques jours par le magistrat Ahmed Rahmouni d'une affaire présumée d'anesthésiant impropre à l'usage. Un statut laconique publié par ce président de l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la justice (OTIJ) sur le réseau social Facebook a provoqué un véritable séisme dans un secteur éclaboussé tout récemment par le scandale des stents périmés qui a donné lieu des à des sanctions contre les parties impliquées et à la fermeture de salles de cathétérisme cardiaque dans plusieurs cliniques. Les répliques de ce nouveau séisme ne cessent de se produire. Quelques jours après les révélations de M. Rahmouni, le ministère de la Santé publique a précisé que l'anesthésiant périmé qui a causé la mort d'une patiente remonte au 2 décembre 2014, soit bien avant l'avènement du gouvernement Essid, soulignant que ce produit a reçu une autorisation de mise sur le marché international depuis 2004. Le ministère fait ainsi référence à l'anesthésiant connu sous l'appellation de «Propofol» qui a été retiré du marché en février 2015 partout dans le monde suite à une mise en garde lancée par le laboratoire qui le produit. Le PDG de la Pharmacie centrale, Mohamed Lamine Moulahi, a, quant à lui, indiqué que son établissement dispose du monopole des médicaments achetés auprès des fournisseurs aussi bien locaux qu'étrangers et assure la traçabilité des produits d'anesthésie qui passent par des circuits contrôlés. «Nous n'avons jamais eu de produits périmés et même pas ceux dont la date de péremption est proche. Pour le reste, la conservation et le stockage au niveau des hôpitaux relèvent des responsables des pharmacies internes de ces établissements», a-t-il souligné, laissant ainsi entendre que des produits périmés ont pu être utilisés du fait du laxisme ou du manque de vigilance des responsables des hôpitaux ou de certaines cliniques privées. «Mauvaise foi» de la part du ministère ? Mais alors qu'on croyait que cette affaire d'anesthésiant impropre à l'usage allait s'arrêter là, le Dr Lotfi M'raihi, qui dirige par ailleurs l'Union Populaire Républicaine (UPR, un parti créé au lendemain de la révolution) a jeté un nouveau pavé dans la mare en révélant que l'anesthésiant suspect n'est pas le Propofol. «A mon avis, le ministère de la Santé a fait preuve de mauvaise foi en parlant de l'anesthésiant Propofol dont un lot a été retiré du marché à la demande de son fabriquant canadien, un peu comme si Toyota rappelait un lot de voitures présentant un défaut de fabrication», assure ce médecin, qui a été à l'origine de la révélation de l'affaire des stents périmés. «L'anesthésiant suspect et qui serait impropre à l'usage est le Vacaine, qui est produit par le laboratoire tunisien Dorcas situé dans la région d'Akouda (Sousse) », a-t-il ajouté. Le Dr Lotfi Mr'ahi a expliqué que l'affaire a éclaté quand plusieurs médecins ont observé que le Vacaine, qui est souvent utilisé pour l'anesthésie rachidienne lors des interventions césariennes, la chirurgie des membres inférieures ou encore la chirurgie abdominale sous ombilicale, «était partiellement inactif ou présentait des effets secondaires graves comme le décès, la paralysie des membres inférieures ou un état de choc résistant aux traitements». «Les médecins en question dont certains ont été attaqués en justice par des familles de patients ont alerté le centre national de pharmacovigilance et adressé une correspondance au ministère de tutelle au mois de mars 2016», a ajouté le Dr M'rahi. Selon lui, le ministère de la Santé a analysé certains échantillons de l'anesthésiant suspect et conclu que le produit ne présentait pas des effets secondaires justifiant son retrait du marché. «Les analyses effectuées par les services du ministère ne concernaient pas l'ensemble des lots de Vacaine. Or on sait que les effets secondaires d'un médicament peuvent varier d'un lot à l'autre en raison d'un problème de stabilité, c'est-à-dire de l'aptitude d'un médicament à conserver ses propriétés chimiques, physiques, microbiologiques et biopharmaceutiques dans des limites spécifiées pendant toute sa durée de validité», a suggéré le Dr. M'raihi. Une affaire dégageant des relents politiques ? La Direction de la pharmacie et du médicament (DPM) relevant du ministère de la Santé publique a confirmé avoir reçu des plaintes relatives aux effets néfastes du Vacaine sans réussir à parvenir à établir un lien de causalité clair entre ces effets et le produit en question. «En ce qui concerne le Vacaine, nous avons bel et bien reçu des plaintes émanant notamment de l'hôpital Sahloul à Sousse en avril 2016, suite à quoi nous avons chargé le centre national de pharmacovigilance de mener une enquête sur le terrain qui n'a pas révélé un lien de causalité évident entre les effets déclarées et le produit en question», a précisé Ines Fradi, directrice générale de la Pharmacie et du médicament au sein du ministère de la Santé publique. Imen Mami Zgarni, la directrice général du laboratoire DORCAS qui produit le Vacaine, a cependant nié en bloc les effets secondaires potentiellement graves attribués à l'anesthésiant ; «L'anesthésiant Vacaine, qui est l'un de la quarantaine de médicaments que nous produisons, a été obtenu son AMM auprès de la DPM en 2014. De plus, nous avons tenu à importer le principe actif de ce produit auprès d'un fournisseur espagnol qui dispose d'une certification de conformité aux monographies de la pharmacopée européenne (CEP/Certificate of suitability of Monographs of the European Pharmacopoeia)», a-telle déclaré. «Aucune plainte officielle n'est parvenue à DORCAS après la distribution de 800.000 aux hôpitaux et aux cliniques durant deux ans», a-t-elle ajouté, indiquant que le laboratoire est ouvert à la collaboration avec tous les utilisateurs de l'anesthésiant dans le cadre du système national de pharmacovigilance. A noter dans ce cadre, que certains observateurs estiment que la multiplication des révélations relatives à des scandales dans le secteur de la santé dégage de forts relents politiques, notant que ces révélations visent à ternir la réputation de l'actuel ministre, Saïd El Aïd, et d'empêcher son éventuel maintien par le nouveau Chef du gouvernement, Youssef Chahed.