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« La révolution est terminée, la démocratie peine à triompher»
Publié dans Le Temps le 16 - 10 - 2016

Président d'honneur de l'Observatoire tunisien de la transition démocratique, Hamadi Redissi, professeur de sciences politiques à l'université de Tunis, fait partie des intellectuels tunisiens à avoir choisi de se mêler directement à l'activité partisane après qu'il ait rejoint le mouvement Nidaa Tounes pour le quitter quelques jours après les élections législatives. Absent depuis quelques temps de la scène médiatique, Hamadi Redissi a accepté notre invitation et est revenu au cours de cet entretien sur les bilans, les analyses et les prévisions concernant le pays.
-Le Temps : Presque six après la révolution du 14 janvier, comment percevez-vous l'état des lieux de la scène politique ?
Hamadi Redissi : La révolution est terminée et la démocratie peine à triompher. La révolution n'était pas nécessaire. Bien de pays démocratiques ont en fait économie. Nous avons deux indices qui démontrent que la révolution est finie : le personnel de l'ancien régime qui s'est recyclé sans problème dans le nouveau paysage et le second indice se retrouve dans la réconciliation économique qui est en train de se concrétiser même à travers l'Instance Vérité et Dignité.
-Est-ce qu'elle a réussi sa mission cette révolution ?
Oui puisqu'elle a quand-même accouché d'une démocratie qui peine à se stabiliser. Cette difficulté résulte du fait que la liberté politique existe mais elle est obérée de sa fonction éthique à travers la persécution des artistes, des marginaux et du refus du « droit d'avoir un plan de vie » pour reprendre le philosophe Rawls, ce droit représente un principe fondamental au niveau des libertés.
-Oui mais aujourd'hui on a tendance à dépasser les problèmes identitaires et autres et on vire vers des problèmes, sérieux, d'ordre économique et social.
Non je pense que le débat des libertés n'est pas encore dépassé parce que le principe de la liberté n'est pas un principe politique. Il y a une différence entre la liberté politique et la liberté individuelle. Ce droit-là qui est constitutif de l'identité individuelle dans une démocratie, n'est pas encore acquis en Tunisie. C'est l'un des enjeux démocratiques dans notre pays. La capacité de l'individu à se constituer sa propre identité. Nous avons une culture autoritaire et conformiste qui refuse ce droit. La démocratie politique elle-même en Tunisie, est menacée et ceux qui pensent que la partie est gagnée se trompent.
-Quelles sont ces menaces ?
En théorie de la science politique, il existe un concept qu'on appelle « les démocraties qui s'effondrent ». Pour ce qui nous concerne, il y a deux aspects qui menacent cette démocratie. Le premier est d'ordre institutionnel : des institutions qui fonctionnent très mal parce qu'elles sont mal-faites, la séparation entre les pouvoirs telle qu'appliquée n'est pas bonne et le mode de scrutin qui ne permet à aucune majorité d'accéder confortablement au pouvoir peuvent mener à un blocage politique. Sur le plan économique, il existe une thèse, énoncée par Simon Martin en 1959, qui dit que la prospérité n'est pas nécessaire à la naissance de la démocratie pour assurer une transition démocratique mais elle est nécessaire pour la maintenir. Là où la démocratie fonctionne et la prospérité ne suit pas, il y a effondrement de la démocratie.
-Vous venez d'évoquer le régime politique et le mode de scrutin. Ces deux thèmes ont été sujets de débats il y a quelques mois, et certains ont appelé à la révision de la Constitution. Par contre, Sana Ben Achour y a vu une potentielle menace. Qu'en est-il pour vous ?
Bien que ma formation soit une formation d'un juriste, je ne suis pas constitutionnaliste pour autant. Je ne vais pas dire contredire Sana Ben Achour mais je ne parle pas de la révision de la Constitution dans son ensemble mais, visiblement, les compétences accordées respectivement au chef de l'Etat et au chef du gouvernement ne sont pas tout à fait équilibrées. Imaginez que le président de la République ne soit pas issu de la même majorité que celle du chef du gouvernement et vous verriez le blocage dans un pays où la culture politique n'est pas encore enracinée. Donc, il y a moyen de garder le format français de la cinquième République qui fonctionne et qui permet au chef du gouvernement de gouverner (même dans le cadre de la cohabitation) et l'inverse. Je ne vais pas entrer dans les détails constitutionnels mais il est clair que l'esprit avec lequel on a conçu cet équilibre était ad hoc en fonction du rapport de force de l'époque. Il aurait fallu, et je pense que cela a été dit, que ce soit des professeurs du Droit constitutionnel qui rédigent la nouvelle Constitution et non pas des politiques. Donc, nous avons un problème institutionnel et il faut le corriger que cela soit au niveau du rapport des deux têtes de l'exécutif ou au niveau du mode de scrutin. Nous sommes dans une situation où ce mode ne permettra jamais à une majorité d'être stable et d'où, d'ailleurs, l'instabilité gouvernementale face à laquelle nous sommes confrontés. Cette instabilité est très nuisible et elle empêche le pays d'instaurer un véritableagenda économique capable de nous sortir de la crise.
-Pour résoudre la problématique de l'instabilité gouvernementale, le président de la République a formé ce qu'on appelle le gouvernement de l'union nationale. Cela pourrait résoudre la crise selon vous ?
Elargir l'assise politique d'un gouvernement n'est pas suffisant. Le programme du gouvernement et ses réformes économiques sont visiblement contestés aussi bien par l'UTICA que par l'UGTT. Les réformes sont douloureuses, l'UGTT a raison de dire que c'est essentiellement les salariés qui sont ceux qui fournissent la plus grande part des ressources financières à l'Etat. L'UTICA demande aussi des avantages. Franchement, je pense que le modèle néo-corporatiste – basé sur le fait que l'Etat négocie avec des représentants des catégoriques socioprofessionnelles qui ont le monopole de la représentation contre une certaine loyauté – qui correspond à un régime autoritaire n'a pas éclaté après le 14 janvier, il se maintient encore et il faudra le réviser de sorte que le pluralisme politique soit, à la fois, un pluralisme au niveau de la représentation pour que l'Etat puisse jouer son rôle de régulateur. Ce qu'on observe maintenant, c'est que l'Etat veut se mêler de tout mais, en même temps, il se dégage de toute responsabilité. Il faut repenser, aussi, le rôle de l'Etat. Je remarque que les élites politiques manquent d'imagination, elles sont toujours prisonnières des formats et des agendas classiques. Il y a une grande dissociation entre les experts en économie, qui sont des piètres politiciens, et les politiciens qui sont, au sens grec du terme, des sophistes. Cela va du chef de l'Etat jusqu'au dernier responsable d'un parti : aucun n'a une culture économique. Il s'agit là d'un grand problème pour les élites tunisiennes qu'il faudra, d'une façon ou d'une autre, résoudre. En France, tous les candidats aux législatives maîtrisent parfaitement leur dossier économique. En Tunisie, l'absence de la culture économique est flagrante et elle est même la cause de la surenchère des propositions et de l'irresponsabilité de certaines initiatives.
-L'Etat vient d'être mis au défi après l'affaire Jemna et le gouvernement a échangé la fermeté de son discours contre un appel au dialogue. Cet incident – auquel ont pris part des députés – représente une révolution en matière de l'autogestion ou une violation de l'Etat pour vous ?
Il est clair que la démocratie naissante en Tunisie passe par une crise, c'est un constat et non pas une critique. La manière autoritaire de procéder n'étant plus adaptée à la nouvelle situation, il faudrait trouver de nouvelles formes d'arrangements et de négociations qui puissent permettre aux citoyens organisés dans des institutions à vocation économique de participer au développement national. Les zones sinistrées qui ont des revendications socioéconomiques n'ont jamais été satisfaites. Pour Jemna, l'Etat devrait, soit chasser les actuels acteurs et lancer un nouvel appel d'offres, soit tenter de trouver un terrain d'entente avec ceux qui sont en train d'exploiter l'oasis. Je pense que le plus raisonnable c'est d'aller vers la seconde possibilité puisque l'Etat ne peut pas gérer ses terres – et il a même des difficultés pour gérer les biens qu'il a confisqués. Ceci est également valable pour Gafsa et pour Kerkennah. Il y a des revendications régionales de développement qui sont historiquement et socialement légitimes. La manière bureaucratique et autoritaire de procéder n'ayant plus aucune chance de réussir, les négociations peuvent être difficiles, mais, encore une fois, il appartient au gouvernement de Youssef Chahed et à ses experts de trouver la solution. J'ai l'intuition qu'une participation citoyenne au développement n'est pas une mauvaise piste ou quelque chose à exclure. Il faut composer avec cet élément ; non que l'Etat abdique, mais il est d'autant plus fort qu'il est capable de négocier avec des acteurs qui ont l'allure de partenaires socioéconomiques malgré leur statut de citoyens. Je n'ai pas plus d'éléments sur la question ; c'est une intuition et non un avis d'expert.
-Qu'il s'agisse de développement régional, de lutte contre la contrebande, contre le terrorisme ou de l'instauration de la bonne gouvernance, le mot clé récurent est le manque de volonté politique. Quelles en sont les causes selon vous ?
C'est parce que le pouvoir politique compose avec les principaux acteurs légaux et illégaux de l'économie. La volonté suppose, que si vous voulez poursuivre les corrompus, vous devrez poursuivre les principaux responsables et démanteler les principaux circuits. Même en commençant par les petits, mais en aucun cas épargner les principaux acteurs impliqués dans la corruption, la contrebande et l'évasion fiscale. Si on ne voit pas dans le programme du gouvernement actuel un ciblage précis et rigoureux de ces individus, cela voudrait dire que cette volonté politique est défaillante.
-On peut parler de complicité ?
Oui, on peut au moins parler de complicité passive de l'Etat.
-Bien que vous étiez parmi les plus fervents défenseurs du projet de Nidaa Tounes, vous avez, aussi, été parmi les premiers à l'avoir quitté et critiqué. Vous qui êtes connaisseur de la politique, vous n'avez rien vu venir avant que Nidaa n'accède au pouvoir ?
Nous avions, à l'intérieur de Nidaa Tounes, essayé d'alerter sur la dérive patriarcale et non démocratique de Béji Caïd Essebsi en personne. Sans citer des noms, tous ceux qui dénoncent aujourd'hui le fils du président et la formation d'un clan familial au pouvoir, étaient de leur côté, presque tous. Nous étions ce qu'on appelait la Gauche de Nidaa Tounes et nous sommes réunis au Palais des congrès. Cette réunion devait être présidée par Béji Caïd Essebsi qui n'était non seulement pas venu au rendez-vous mais qui a, en plus, donné l'ordre à tous ceux que vous voyez aujourd'hui parader de ne pas assister au rassemblement. Du coup, on s'était retrouvé minoritaire à alerter sur cette dérive. Pour ma propre démission, j'avais rejoint Nidaa Tounes dans le but d'équilibrer la scène politique accaparée par Ennahdha. Une fois le but atteint, j'ai démissionné du mouvement deux jours après les élections législatives et j'ai continué à soutenir la présidence de BCE. Je voyais dans la manière de faire des élites autour de BCE un opportunisme politique et un manque de conviction : il y avait autour de lui une bande d'opportunistes liés essentiellement par des intérêts et par l'autopromotion. Nul au sein de Nidaa Tounes, avant qu'il n'éclate, n'avait plaidé pour que les structures du mouvement soient démocratiquement élues, bien au contraire, ils voulaient tous reporter les élections. C'était une alliance autour d'un chef charismatique qui a, une fois élu, essayé de se débarrasser d'un parti qui s'est transformé en un fardeau. Je le sentais mais je ne voulais pas le dire pour ne pas décourager les électeurs et pour ne pas passer pour un Judas. Il y avait un côté RCDiste vieux jeu dans les réunions internes, dans l'organisation, dans la gestion, dans tout ! Ce n'était pas un véritable parti.
-Béji Caïd Essebsi n'a-t-il pas plutôt tenté de se débarrasser du clan de la Gauche de Nidaa Tounes et non pas de tout le mouvement ?
Non pas du tout. Il s'est comporté comme n'importe quel tyran de province en écartant tous ceux qui lui ont permis d'arriver au premier rang. Cette tactique est récurrente dans l'Histoire des dictatures, même si nous ne sommes pas en dictature, le procédé est le même : écarter les personnes à qui on doit quelque chose et ne travailler qu'avec des clients dévoués parce qu'ils n'ont aucune légitimité. C'est ce qu'il a fait. Maintenant, il fait des manœuvres pour imiter le grand Bourguiba en essayant de diviser de petites formations sans importance. C'est tout simplement de l'irresponsabilité !
-Cette conjoncture partisane fragile et instable ne représenterait pas une garantie pour Nidaa Tounes et Ennahdha (malgré leurs crises internes) pour qu'ils continuent à gouverner la Tunisie pour les dix ans à venir ?
Pour Nidaa Tounes, vous rêvez ! Pour Ennahdha, ce n'est pas la même chose. Je ne pense pas que Nidaa, dans sa forme actuelle, puisse encore être une force politique. Je vois cela de l'extérieur : des personnes qui se chamaillent sans avoir ni programme, ni vision ni culture politique. La plupart sont politiquement illettrés , certains sont des voyous en relation avec des milieux de type mafieux. Si ceux-là vont pouvoir gouverner la Tunisie pour des années, je crains fort que nous ne tombions dans une démocratie sur le modèle de l'Amérique latine : des assassinats au quotidien de journalistes et d'opposants sans que personne ne s'en émeuve. En sciences politiques, on appelle cela les « démocraties autoritaires » , des régimes néo-autoritaires mais organisant la compétition politiquement parlant. Si Nidaa Tounes continue à être le principal acteur politique dans le pays, on peut s'attendre à l'instauration d'un régime pareil.
-Et qu'en est-il pour Ennahdha ?
Ennahdha relève d'une autre logique et il faut voir son avenir dans celui de la Turquie : tant que le rapport de force ne leur est pas favorable, les Nahdhaouis continueront à se comporter comme ils le font aujourd'hui. Mais si il y a un déséquilibre politique flagrant de leur côté, il faudra s'attendre à une dérive. Montesquieu en a déjà parlé au XIX siècle : « Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». La dérive néo-autoritaire d'Ennahdha dépend de sa constitution en une majorité.
S.B


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