En Tunisie, on tire la sonnette d'alarme, la crise politique, économique et sociale devient de plus en plus problématique, la sortie de crise politique en Tunisie est de nouveau dans l'impasse. S'ajoute à ce flou politique une crise diplomatique en raison du discours du Président de la République où il a appelé à libérer le président destitué Mohamed Morsi. M. Mahmoud Bessrour, ancien ambassadeur et diplomate, nous donne sa lecture géopolitique. Interview. Que pensez-vous de la feuille de route présentée par le quartette parrainant le dialogue national ? Je pense que c'est une des clés de sortie de la crise qui est multidimensionnelle. Deux ans après les élections d'octobre 2011, le pays est plongé dans une situation gravissime : politique, économique, financière, sociale, géopolitique et sécuritaire. La feuille de route du quartette implique, à mon sens, la démission du gouvernement de la triade II et donc, la composition d'un groupement intérimaire jusqu'aux élections de 2014. Elle requiert, premièrement, que le nouveau gouvernement dispose d'un programme de travail consensuel au préalable et, deuxièmement, une vision prospective claire et cohérente. Cela veut dire que le programme de travail du nouveau gouvernement devrait être articulé sur les grands enjeux politiques, socio-économiques, géopolitiques c'est-à-dire en harmonie avec les objectifs de la révolte en Tunisie. Autrement dit, le futur gouvernement intérimaire qui ne disposerait pas d'un programme de travail ne serait pas dans le sens de l'histoire. Il serait loin des grandes préoccupations et attentes du peuple tunisien et pourrait même faire l'objet de surenchères partisanes ou d'invectives.
Payons-nous aujourd'hui le coût économique de la crise politique et du terrorisme ? Quelle est votre lecture géopolitique de la crise tunisienne ?
Tout d'abord, nous payons incontestablement le coût social énorme des politiques économiques et d'endettement de l'ancien régime. Nous payons également le prix du blocage des moteurs de l'économie, tous les grands indicateurs économiques et des finances publiques étant au rouge. Cette réalité est d'autant plus dramatique qu'elle touche l'ensemble du peuple, surtout les catégories sociales démunies et la jeunesse dans les régions marginalisées du pays. En cela, le gouvernement actuel comme celui qui l'a précédé assume une lourde responsabilité. Ensuite, la crise tunisienne depuis la guerre civile et l'intervention militaire en Libye n'est plus isolée dans l'espace géopolitique maghrébin. Nos frontières avec l'Algérie, d'une longueur de 965 km, sont désormais verrouillées et sécurisées par les autorités algériennes alors qu'une partie de ces frontières pouvaient, depuis plus d'une année, faciliter l'intrusion en Tunisie de toutes sortes de trafic de marchandises mais aussi d'armes et de groupes armés. Ce facteur en question me paraît d'autant plus sérieux que la menace terroriste, dans ses multiples facettes, concerne plusieurs pays du Maghreb et du Sahel. Par ailleurs, nous sommes devant une nouvelle configuration géopolitique arabe. Les variables de la crise égyptienne et celles de la crise syrienne furent considérablement modifiées. Fait majeur de l'histoire contemporaine, les manifestations de 30 millions d'Egyptiens, la révolution du 30 juin, le coup d'Etat consensuel et la destitution de Mohamed Morsi mirent fin à l'autoritarisme des « Frères musulmans » au pouvoir. Qui plus est la crise syrienne a révélé la nouvelle configuration des alliances dans l'ensemble de la région. La Russie et la Chine se positionnent comme acteurs de poids dans les relations internationales notamment au Conseil de sécurité des Nations-Unies. L'Iran- un des principaux alliés de la Syrie- est devenu une puissance régionale dotée de capacités de dissuasion vis-à-vis de l'Etat juif nucléarisé. Et il semble même que les pires ennemis de la Syrie ne sont plus les Etats-Unis et plus vraisemblablement l'Arabie Saoudite, le Qatar et Israël qui occupe le golan syrien.
Une tempête a été déclenchée suite aux propos du président provisoire de la république, à la tribune de l'Assemblée générale des Nations-Unies où il a appelé à libérer le président destitué Mohamed Morsi. Qu'en pensez-vous ? Effectivement, cette question importante nécessite d'être explicitée dans la mesure où elle concerne deux aspects du Droit international, de la charte des Nations Unis et donc, des relations internationales d'aujourd'hui. Depuis fort long temps, le Droit international a codifié l'interdiction du recours à la force et le principe de non-intervention. Premièrement, les articles 2 et 4 de la charte des NU interdisent le recours à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de tout Etat membre des NU, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. Deuxièmement, le principe de non intervention c'est-à-dire le principe de non ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat membre, est une question qui s'imposait déjà au XIXème siècle. La charte des NU a repris ce principe et lui a conféré une place importante du fait, entre autres, de l'affirmation de l'égalité souveraine des Etats membres de l'ONU. La notion juridique de non-ingérence reste fondamentale dans les relations internationales. Une intervention est le fait pour un Etat de chercher à s'ingérer, à pénétrer dans la sphère des compétences et attributs exclusivement réservés à un autre Etat, soit pour l'idée à régler ses propres affaires soit pour les régler à sa place, soit enfin pour exiger que cet Etat règle ses affaires dans un sens déterminé. Il convient de rappeler à ce sujet que le principe de non-ingérence est réaffirmé dans la résolution 26/25 de l'AGNU qui établit, entre autres, qu'aucun n'a le droit d'intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre Etat membre. Par conséquent, les propos du président provisoire de la République à New York, corroborés à Washington lors de sa longue conversation avec les membres de l'US Council ou Foreign relations (CFR) sont sur le même plan de la décision unilatérale et erronée relative à la rupture des relations diplomatiques de la Tunisie avec la Syrie (Février 2012). Pire, la Tunisie est aujourd'hui confrontée à une double crise diplomatique avec l'Egypte et les Emirats arabes unis. Nous sommes devant de graves manquements au Droit international, à la charte des Nations-unies et aussi à d'importantes dispositions juridiques prescrites par la Convention Internationale de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques.