Il n'est pas nécessaire de présenter ou de dresser le profil de notre invité de cette semaine. Pour le commun des Tunisiens, il sera peut-être président de l'Ordre des Experts Comptables de Tunisie, ou encore membre du bureau exécutif de l'Institut Arabe Des Chefs d'Entreprise(IACE). D'autres vous diront qu'il sera enseignant universitaire. Ses camarades d'école vous diront que c'est un perfectionniste extrêmement méticuleux. Ses étudiants lui reconnaissent sa disponibilité, son dévouement et l'envie de transmettre son savoir sans aucun calcul. A ses collaborateurs, il inculquera rigueur, persévérance et honnêteté. Ses amis profitent de sa loyauté et de son dévouement. Pour l'histoire, quand il fut recommandé au temps de Ben Ali pour le poste de secrétaire d'Etat, l'unique défaut qu'on a pu lui reprocher « il est sfaxien ». En votre qualité de porte-parole de l'IACE, pouvez-vous nous présenter succinctement les journées de 2015. Fidèle à sa tradition, et sans interruption depuis 1986, l'IACE organise la trentième session des journées de l'entreprise, qui viendront confirmer, si besoin est, un parcours de think tank dédié à la promotion de l'entreprise et à l'amélioration de l'environnement des affaires à travers les études que nous préparons, les mesures de réformes que nous proposons et les recommandations que nous formulons, avec l'appui et le concours des chefs d'entreprises, des experts, des universitaires et de divers autres acteurs de la société civile. Les journées de 2015, dans leur trentième session, auront pour thème « L'ENTREPRISE 2.0 ET LA DEUXIEME REPUBLIQUE : VISION & DIALOGUE ». Avec sa séance plénière d'ouverture rehaussée par la présence de Monsieur le Président de la république et ses différents panels rehaussés par la présence des messieurs le chef du gouvernement et le président de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), ainsi que par la participation de d'éminentes personnalités politiques et du monde de l'économie et des finances, ces journées identifieront les piliers d'une économie moderne répondant aux exigences de l'entreprise de la deuxième république. Les questions cruciales qui seront débattues porteront sur les problématiques suivantes : 1- Quels sont les leviers de croissance que nos entreprises sont appelées à identifier et à mettre en œuvre pour pouvoir répondre à deux impératifs fondamentaux : a- Assurer un accompagnement adéquat du processus de la transition démocratique et contribuer efficacement à sa réussite ; b- Se positionner convenablement dans une économie mondialisée et fortement concurrentielle. 2- Quelles institutions, et quels organes de régularisation et de gouvernance doivent être mis en place pour la construction de politiques publiques assurant l'adhésion de toutes les parties prenantes et instituant une propre vision économique de l'Etat, indépendamment des parties politiques qui gouvernent. 3- Quel dialogue public-privé (DPP) doit être mis en place pour pouvoir implémenter des politiques publiques basées sur des mécaniques de réflexion et de concertation. Une concertation qui permettra de catalyser les efforts de revendication et de plaidoirie créant une synergie positive, pour la construction et l'appropriation adéquates par les différentes composantes du pays. La problématique de vos journées est en rapport direct avec la situation du pays et notamment dans le domaine économique. Comment jugez-vous cette situation ? Je ne vais rien ajouter si je dis que la situation est trop critique voire inquiétante et dangereuse. Il serait peut-être mieux indiqué pour justifier cette appréciation de fournir certains indicateurs qui illustrent la précarité de la situation. En effet, peut-on exprimer un meilleur jugement lors que l'on sait que : Le taux de croissance de l'année 2015, avoisinant le demi point ne permettra ni la réduction du chômage ni l'amélioration des conditions de vie. Celui de 2016 fixé à 2,5%, déjà trop bas et trop faible, serait hypothétique, parce qu'il est tributaire de facteurs non maitrisables tels que la paix sociale, l'amélioration de la productivité et l'attitude des partenaires sociaux. Les rémunérations publiques fixées à 13 milliards de DT représenteront 57% des ressources propres et 13,5% du PIB, un record très rare dans d'autres économies comparables. Ces rémunérations qui étaient de 6,8 milliards de DT en 2010, enregistreront une augmentation de 91% en six années ! Le recours à l'endettement pour boucler le budget et financer le déficit budgétaire est passé de 4 milliards de dinars en 2010 à 6,5 milliards de DT en 2016 ,soit une augmentation de 62% en six années. Il en est de même pour le volume de l'endettement qui explosera en 2016 pour représenter 53% du PIB, contre 40.5% en 2010. Entre 2010 et 2013, le déficit des entreprises publiques a atteint 4 milliards de DT ce qui est réellement préoccupant puisqu'il constitue une véritable menace de la poursuite des services publics. Si l'on ajoute ce montant à celui du déficit du budget de l'Etat, l'on sera à un niveau de déficit de 8,2% du PIB ! Les salaires servis par les entreprises publiques s'élèvent à 3,5 milliards de DT (environ 120.000 agents), ajoutés aux rémunérations publiques (13 milliards de DT) l'enveloppe globale des salaires et rémunérations du secteur public (Etat et entreprises publiques) seraient de 16,5 Milliards de DT, soit plus que trois fois les dépenses de développement. Ce constat confirme votre déclaration à l'un des quotidiens de la place, lorsque vous avez précisé qu'on s'oriente vers une politique d'austérité, une baisse généralisée des salaires et la levée des subventions. Non, pas du tout ça, j'ai soulevé ces orientations en réponse à une question sur les conséquences éventuelles d'un défaut de remboursement des dettes. Et là, j'ai bien précisé que dans le cas où nous serions dans une situation d'insolvabilité, nos créanciers ne peuvent en aucun cas exiger un recouvrement forcé de leurs créances. Ils ne peuvent qu'accepter, même à contre cœur, le rééchelonnement de la dette moyennant, bien entendu, certaines conditions qui peuvent porter sur la réduction du volume des rémunérations, la levée des subventions et une politique d'austérité. En effet, il est d'usage que dans le cas d'impossibilité de rembourser les dettes, les créanciers, comme tous les autres bailleurs de fonds, négocient, dans des conditions draconiennes le rééchelonnement de la dette. Comme il est indiqué dans une publication du « Comité pour l'Annulation des Dettes du Tiers monde » (CADTM) de mai 2013, le pays défaillant se trouve en position de faiblesse si ce n'est plutôt en position de « mendicité », comme s'il demandait une « faveur » au créancier, acceptant ainsi d'être à la merci du créancier qui choisit le mécanisme et les conditions de ce « cadeau ». Les conditions imposées sont celles qui permettraient d'honorer l'engagement de rembourser les échéances rééchelonnées (majorées des intérêts) et ne pourraient passer qu'à travers des mesures d'austérité très sévères. Et que faut-il faire pour éviter cette situation ? Il faut tout d'abord savoir si l'on pourra l'éviter. Ensuite, il faut revoir plusieurs politiques publiques jusque là instituées et qui se sont avérées malheureusement déficientes. A commencer par les démarches convoitant l'exemplarité des « démocraties scandinaves », dans un pays qui vient de sortir de la dictature la plus sordide, et dans un environnement totalement inadapté, marqué par une mauvaise gouvernance, un copinage et une corruption accrus et une transgression quasi-généralisée, ce qui laisse rappeler la citation « Le ventre creux n'a pas d'oreilles démocratiques ». Il n'est nullement question de louer les années de « plomb » d'absolutisme, mais plutôt de prêcher un passage doux et paisible d'un modèle alliant la dignité du peuple, à la rigueur économique, au bien être social et à la suprématie absolue des intérêts nationaux, pour aboutir plus tard à l'attachement mystique de l'idéal politique (l'exemple américain). La revue du modèle politico-économique doit conduire à une remise en cause des plans et stratégies jusque là mis en œuvre au niveau commandement, modèle de développement, politique d'investissement ... un régime qui doit réhabiliter les compétences et mettre fin aux considérations politico-politiciennes qui nuisent les intérêts du pays et servent ceux des lobbies. Rien ne pourrait être espéré sur ce plan, tant que la confiance entre gouvernants et gouvernés ne s'est pas réellement et effectivement rétablie et tant que plusieurs vérités ne soient pas clairement dévoilées, celles-ci devant couvrir les opérations suivantes : L'audit de toutes les opérations en rapport avec la gestion, la cession et l'exploitation des biens confisqués dans le cadre du décret-loi de mars 2011. Cet audit devrait également couvrir toutes les structures qui ont été chargées de la gestion de ces dossiers ; La publication des conclusions des audits des banques publiques ; Le contrôle et la publication de tous les mouvements significatifs de fonds, de et vers l'étranger, intervenus durant les cinq dernières années, au nom d'associations, de personnes physiques et de structures sociétaires, en mentionnant le pays, les montants, l'objet du mouvement, etc... La communication des explications et informations nécessaires au sujet de plusieurs questions « brulantes » gardées en stand-by dans l'ombre et sans qu'une suite ne leur soit donnée dans un sens ou dans l'autre, par exemple l'affaire des financements suspects des campagnes électorales qui, à un certain moment, a fait couler beaucoup d'encre, puis fut subitement jetée aux oubliettes .... Terminons par une question qui s'impose en raison de vos qualifications dans le domaine de la fiscalité. Que pensez-vous du projet de la loi de finances 2016 ? L'un des meilleurs projets de loi de finances pour ne pas dire le meilleur projet de loi de finances des dix dernières années. Un projet de loi de finances qui répond aux impératifs de lutte contre la fraude fiscale et la contrebande, de renforcement de l'équité fiscale et de la transparence et de la rationalisation des régimes d'imposition. Les quelques imperfections liées à la levée du secret professionnel ou aux modalités de rejet de comptabilité seront certainement redressées, et pourraient être facilement surmontées. Je fonde l'espoir que nos honorables députés ne céderont pas à la pression de certains lobbies pour amender des dispositions en dénaturant par là même, le bien- fondé des mesures proposées.