Allant à contre-courant des recettes pour pays émergents, le régime de Chavez a affirmé la primauté de l'Etat volontariste et le contrôle de la sphère économique. Irrigué par la manne pétrolière, soutenu par une opinion publique hostile à l'impérialisme des Etats-Unis et se joignant au concert des Etats révisionnistes dans les instances internationales, le Venezuela ne manque ni d'atouts, ni d'alliés réels et potentiels. Mais pour réussir, il faut briller à l'heure des bilans. Il faut le reconnaître : le Venezuela a réalisé plusieurs avancées durant l'ère Chavez. La crise économique qui engluait le pays au cours des années 1980-1990 n'a fait que renforcer la peur des «classes dangereuses » et la volonté de l'élite de mettre à distance des couches sociales considérées comme un frein au développement du pays. Il est incontestable que le président Chavez, lui-même métis, a renforcé le droit des minorités. Pour la première fois, des Indiens ont obtenu des postes au gouvernement. Avec Chavez, les classes modestes accèdent enfin à la démocratie, et cela demeurera l'un des grands acquis politiques du pays. Le régime de Chavez a également promis la terre aux paysans, dans un pays où 5% de la population possède 80 % des terres privées. Promesse tenue puisque des centaines de milliers d'hectares ont été distribuées. A vrai dire, c'est surtout la rente pétrolière qui a permis au régime de tenir ses promesses. Les recettes d'exportations pétrolières assuraient au pays des revenus considérables et donc des moyens d'investissement qui l'exemptent de se plier aux règles financières internationales, celles des institutions de Bretton Woods ou des marchés de capitaux. Elles ont également permis de financer de grands programmes dans l'éducation, la santé ou encore la lutte contre la pauvreté. Pour lutter contre les carences alimentaires, les programmes dédiés ont touché 40% de la population, entraînant une diminution du coût de la vie de 25% à 30%. Or, la manne fut aussi une malédiction : la facilité de revenus abondants a tué la volonté d'affronter les défis du développement et l'économie vénézuélienne souffre d'un manque de diversification. Selon les adversaires de Chavez, cela est dû essentiellement à un manque de crédit aux entreprises et d'appui à l'initiative privée, l'argent du pétrole étant aspiré dans des programmes sociaux. En tout état de cause, la croissance économique semble être objectivement menacée à terme. Le pouvoir table sur un taux de 6% pour 2009, alors que celui-ci, après être passé de 8,4% (2007) à 4,8% (2008), devrait, d'après la Commission économique des Nations unies pour l'Amérique latine, chuter à 3%. Selon d'autres sources, la production a diminué et les infrastructures de production sont dans un état préoccupant. Le volet social, point fort du régime, n'échappe pas, à son tour, aux critiques. En effet, et bien qu'elle soit remarquablement généreuse, la politique sociale menée par Chavez est traitée par ses opposants d'« inefficace ». Cela n'empêche, Chavez demeure un dirigeant populaire. L'opposition reste marquée par les caractéristiques du clivage fondamental, et son programme est loin de constituer une alternative crédible ou séduisante aux yeux du peuple vénézuélien. Les « chavistas » ne sont pas uniquement de pauvres analphabètes galvanisés par le populisme anti-riches, comme certains tendent à le schématiser. Ils se recrutent dans de nombreuses couches de la société. Cependant, les cercles bolivariens et les conseils des communes populaires semblent former l'ossature d'un mouvement régénéré pour qui la participation politique offerte par le régime aura formé et préparé les hommes politiques de demain. Par ailleurs, le rayonnement régional du modèle, ou plutôt du contre-modèle vénézuélien, est aujourd'hui un fait indéniable. Le chavézisme et son expression régionale le « bolivarisme », sont souvent identifiés comme étant la rencontre d'un mouvement politique traditionnel national-populiste qui tente de mettre fin au pouvoir de l'alliance du capital occidental et des classes aisées (généralement blanches), avec un anti-mondialisme d'Etat qui refuse tant l'unipolarisme des Etats-Unis que la pensée libérale dominante dans les institutions internationales. A cet égard, la solidarité bolivarienne s'exprime dans les faits par une aide généreuse du Venezuela, comme des prêts bancaires bonifiés ou une fourniture de pétrole, à hauteur de 56 000 barils de pétrole par jour (en faveur des membres de l'Alliance ou des membres «associés») à des conditions très avantageuses. Cuba, pays ami privilégié, en recevait sans doute 100 000. L'organisation Petrocaribe tente de coordonner l'utilisation de cette aide, pendant que le Venezuela développe d'autres institutions, autant d'ébauches d'une intégration régionale qu'il conduirait: Telesur, une Banque du Sud, etc. Cette aide continue d'attirer de petits pays pauvres laissés sans soutien dans les tumultes de la crise économique mondiale. Ainsi, le Honduras a dernièrement rejoint le front bolivarien et bénéficié d'un prêt bancaire, alors qu'il avait essuyé un refus tant de son secteur privé que de la Banque mondiale. La montée du chavézisme promet d'ailleurs une extension territoriale de son influence. Les chances de l'opposition de gauche sont ainsi sérieuses au Pérou et au Mexique, où les politiques libérales suivies rencontrent une forte impopularité, voire hostilité. Les limites de l'expérience Alvaro Uribe en Colombie, la situation désastreuse au Guatemala et les chocs de la crise économique dans le cône Sud renvoient autant de signes encourageants, confortant la rhétorique radicale d'un dirigeant réclamant une alternative au capitalisme des pays développés. Cela étant, les aspirations de Chavez semblent dépasser de loin la dimension régionale. Le président vénézuélien tente sérieusement d'acquérir une stature de leader tiers-mondiste. Pour cela, il n'hésite pas à se rendre dans les Etats les plus honnis par Washington (Iran, Cuba, Biélorussie…) ou à coopérer étroitement avec les grandes puissances « révisionnistes » de l'ordre mondial post-guerre froide, à savoir la Russie et la Chine. Bien évidemment, ces derniers jouent le jeu : la Chine pour sécuriser ses approvisionnements en hydrocarbures, et la Russie en vue de remettre en cause l'unipolarisme des Etats-Unis. Toutefois, la stratégie de Chavez, aussi ambitieuse qu'elle soit, se heurte de plus en plus, dans la conjoncture actuelle, à un manque flagrant de moyens. La chute des cours dramatiques et la fin de la manne pétrolière affaiblissent l'Etat. On serait tenté de dire que le baril reste encore mieux rémunéré qu'au début de l'ère chavéziste, mais la réduction de la rente pétrolière n'explique pas tout. En effet, le manque d'investissements a réduit la production à court terme, et grève les chances de la maintenir ou de la relancer à moyen terme. Le chavézisme semble donc arriver à la croisée des chemins. Pour pouvoir survivre, il doit se renouveler et entrer dans la phase de maturité. Le Venezuela de Chavez dispose encore de nombreux atouts pour infléchir honorablement sa course et rentrer dans le rang, celui des Etats progressistes mais réalistes, critiques d'un système international fortement secoué par la crise. Il faut d'abord réussir le développement : continuer à réduire le fossé entre les couches sociales tout en investissant une part importante des revenus du pétrole dans l'avenir.