La scène se passe dans les locaux d'une recette des finances. Un sexagénaire se présente, carte grise, devenue bleue, en main pour régler sa vignette. Après formalités, on le prie de passer au caissier pour récupérer quittance, moyennant finances. Le caissier fait l'appel. Comme dans une classe: «Foulen Ben Faltane!». Le vieil homme s'avance vers l'appelant et lui rétorque: «Mais, monsieur, ne mériterais-je pas un petit monsieur devant le nom de votre humble appelé? Surtout que je ne suis plus à l'âge d'école». Scandalisé par ces propos, le guichetier répond, non sans désinvolture: Moi je me fie strictement à ce qui est écrit sur la quittance. Où il n'est marqué ni «si» ni «Monsieur». Au suivant! L'homme, surpris et meurtri, interjette appel, contre celui qui vient de faire l'appel. Auprès du receveur, bien sûr. Le chef semble, lui aussi, surpris et meurtri. Non par le comportement de l'appelant, mais plutôt par la réaction de l'appelé. Voilà ce qu'on appelle une situation administrativement cocasse, pour un service qui a tout intérêt à être plus «citoyen». Tenez, tant qu'on a parlé de la recette «Foulane Ben Faltane» tout court, disons maintenant quelque chose et pas n'importe quelle chose, d'une autre recette. Là où trône majestueusement et sue abondamment, de l'autre côté de la barrière, Madame Foulana Bent Faltane. Oui cette fille d'Eve, quinquagénaire, et, dit-on, mère de trois ou quatre enfants, ne dirige pas n'importe comment une recette et pas n'importe quelle recette! D'abord, j'appellerais la recette de Mme Foulana la recette des paradoxes. Géographiquement parlant, elle est jetée dans un coin perdu au fin fond de la Cité Ettadhaman. C'est-à-dire loin du front et bien en marge du grand mouvement et du cœur battant de cette cité à la fois mastodonte, populaire et populeuse. Pour espérer rejoindre les locaux des paradoxes et contribuer à renflouer le budget du trésor public. C'est le parcours du combattant. Un bref sur 300 m qu'est ce local révèle que nulle bonne âme n'y est gâtée! Il s'agit d'une minuscule villa 2 ou 3 + S, pouvant à peine faire l'affaire d'une petite crèche. Là, une immense foule compacte se trouve chaque jour et de longues heures durant, immobilisée dans une atmosphère suffocante et asphyxiante d'enfer. Elle se dispute corps à corps dans la mixité, une place priviligée devant des guichetiers. Eux aussi à plaindre beaucoup plus que le reste du beau monde d'en face. Et pour cause… Coude- à- coude, bousculades, chamades, etc. Tout est permis pour ce raz de marée pour échapper, au plus tôt, au raz le bol de l'exaspération. Surtout, surtout en l'absence paradoxale du distributeur salvateur des tickets, ce faiseur génialde bon ordre et de la discipline collective. Non ! Mille fois non! Les braves banlieusards d'Ettadhaman et du grand fief de la classe laborieuse, méritent un meilleur sort. Madame Foulana et son équipe aussi et encore plus. Entre nous soit dit, si cette Fille d'Eve exceptionnelle s'avisait un jour à remettre le tablier, bien d'enfants d'Adam n'accepteraient guère de gaieté de cœur le lourd héritage des paradoxes. Un grand coup de chapeau donc pour le soldat solidaire d'Ettadhaman qui cadre bien avec son cadre géo-social de travail, la cité de la solidarité. Et mériterait au moins la médaille du travail au mois cinq de l'année 10 du siècle 21…