Vendredi, 08 octobre 2010, s'est tenu, à l'Ecole Nationale de l'Administration et dans le cadre de la session annuelle de l'Institut des Relations Internationales (IRI), un séminaire sur le thème «Les nouveaux grands acteurs internationaux ». Un thème important et intéressant objet des interventions de son excellence M. Toshiyuki TAGA, ambassadeur du Japon et messieurs : Salem FOURATI, vice président de l'association des Etudes Internationales (AEI), Salah HANNACHI, ancien ambassadeur, Kamel BENYOUNES, directeur de l'AEI, Khaled KADDOUR, Expert, Mannoubi MARROUKI, journaliste, Mahmoud ZANI, professeur, Khalifa CHATER, président de l'AEI, et, Saîd BHIRA, secrétaire général de l'AEI. La présidence de ce séminaire a été assurée par M. Salem FOURATI. L'ambassadeur du Japon, M. Toshiyuki TAGA représentant son pays, choisi comme meilleur exemple pour débattre de ce thème, a exposé lors de son intervention l'évolution de la diplomatie japonaise au niveau régional et international et les défis qui se posent à la communié internationale et auxquels le Japon prend une part active. Il a, également, parlé du développement des relations tuniso-japonaises. Concernant les questions relatives à la diplomatie japonaise au niveau régional et international, M. Toshiyuki TAGA a souligné que le Japon actuel est en pleine mutation. Son paysage géopolitique est bien différent de celui de l'Europe. Le Japon accorde une priorité à l'approfondissement de l'alliance nippo-américaine. M. Toshiyuki TAGA a appréhendé les relations entretenues entre le Japon et la Chine. La Chine est le premier partenaire commerciale du Japon et le Japon est le troisième partenaire commerciale de la Chine après l'Union Européenne et les Etats-Unis. Des relations qui ne sont pas toutefois, a-t-il ajouté, exemptes de problèmes. Entre autre, il a cité un problème de transparence. La Chine ne révèle pas des détails sur ses dépenses militaires. Par ailleurs, il a indiqué que les relations bilatérales entre les deux pays tendent à s'améliorer. M. Toshiyuki TAGA a précisé que le japon, deuxième puissance mondiale et membre du G8, doit prendre l'initiative pour faire face aux problèmes mondiaux tels que l'émission du gaz à effet de serre, l'équilibre entre l'utilisation pacifique du nucléaire et la prolifération et la sécurité nucléaire, la lutte contre le terrorisme, la situation au Pakistan et en Afghanistan, et bien d'autres… Il a rappelé que le Japon ne cesse de contribuer au développement des pays en développement et surtout africains. Concernant la coopération tuniso- japonaise - M. Toshiyuki TAGA en a cité des exemples : pont Radès–la Goulette, l'électrification de la ligne Borj Cédria-Tunis…- le Japon compte privilégier le domaine du changement climatique et environnementale. Pour le Japon, La Tunisie est politiquement stable, diplomatiquement modéré et économiquement pleine de dynamisme. L'évolution des relations entre les deux pays est le reflet de la grande estime du Japon à l'égard de la Tunisie et de la Tunisie à l'égard du Japon. Le second forum économique Japon-Monde Arabe, qui se tiendra les 11-12 décembre 2010, a-t-il souligné, témoigne de la confiance réciproque tissée sur plusieurs années entre les deux pays. Le Japon espère, à travers ce forum, que davantage d'entreprises japonaises s'installent en Tunisie. M.Salah HANNACHI, dans son intervention, a parlé des critères permettant de définir les nouveaux acteurs internationaux. Il a souligné l'importance du critère d'appartenance culturelle et de l'intelligence de son utilisation. M.Khaled KADDOUR a ajouté trois autres facteurs essentiels de puissance. Il a cité la technologie et le développement technologique et il a insisté sur la maitrise de la technologie de l'espace. Il a cité, aussi, le poids économique qui s'exprime à travers l'activisme de plusieurs parties du monde. Et enfin, le facteur démographique, à l'exception de la Russie. M.Mahmoud ZANI a félicité les organisateurs de ce séminaire pour la pertinence du thème choisi. Celui-ci est d'une actualité brûlante comme en témoigne la notion en vogue de « BRIC », qui couvre les nouveaux acteurs de la société internationale, à savoir le Brésil, la Chine, l'Inde et la Russie, a-t-il souligné. Il a traité de la question des Brics et le nouvel ordre international, précisément, si les Brics ont le potentiel pour dessiner un nouvel ordre international. Nous vous exposons ci-après la totalité de son exposé. M.Kamel BENYOUNES, quant à lui, a traité du cas de la Turquie comme acteur sur la scène internationale. C'est un pays qui bouge dans sa région. Selon les estimations européennes, la Turquie est la sixième puissance économique européenne et le deuxième importateur de textile. M.Kamel BENYOUNES a souligné les traits marquants de la politique Turque. L'ouverture de ses frontières avec la Syrie a participé à augmenter le nombre des touristes en Turquie et en provenance de la Syrie (plus de trois millions de touristes). C'est un pays qui se démarque par son interprétation moderniste de l'Islam. Toutefois, c'est un pays qui présente deux faiblesses, selon M.Salah HANNACHI. Il présente une fracture longitudinale du fait que c'est un pays qui n'a pas pu accéder et tirer profit de tout son patrimoine culturel. La seconde faiblesse représente une fracture transversale. Les kurdes turcs sont interdits de parler kurde. M.Mahmoud ZANI Docteur en droit international public Docteur en droit public Professeur, Université de Tunis « La puissance économique et le pouvoir décisionnel au sein des institutions internationales, notamment l'O.N.U., restent des critères valables pour permettre à un Etat d'accéder au rang des «grands acteurs » de la société internationale. » Ma communication porte sur la «Les Brics et le nouvel ordre international». Il s'agit principalement de savoir, d'une part, si ces pays émergents ont la capacité et le potentiel suffisants pour établir un nouvel ordre international en remplacement de l'actuel système international issu de la Conférence de Yalta de 1945. D'autre part, si les Brics sont en mesure de modifier les rapports de force économiques et politiques internationaux, et partant, constituer un contrepoids par rapport aux Etats-Unis d'Amérique. Bien entendu, la question de la gouvernance, c'est-à-dire à qui appartient la direction de l'ordre international et la réglementation des rapports internationaux se pose dans toute sa splendeur. Il en est de même pour la question de la réforme du Conseil de sécurité : l'Inde et le Brésil souhaitent faire partie de cet organe restreint de l'Organisation des Nations Unies. Pour essayer de répondre à ces questions et examiner si le qualificatif de «grands acteurs » s'applique s'agissant des Brics, il sied d'aborder les points suivants : De quelques caractéristiques significatives des Brics Le concept de «Bric » a été imaginé en 2001 par la banque d'investissement Goldman Sachs pour parler du dynamisme de l'économie des pays émergents (Brésil, Chine, Inde, Russie). Le rapport 2003 de cette même institution relevait la capacité de ces pays à former un bloc économique puissant, tout en préconisant d'ici 2040 un rôle majeur de ces quatre pays dans l'économie mondiale. Ainsi, la Chine deviendra la 1ère puissance économique mondiale et la Russie s'imposera comme première puissance européenne devant l'Allemagne. En pratique, depuis la crise financière internationale de 2008, la référence aux Brics s'est accentuée en raison de leur rôle déterminant dans la dynamisation de la croissance mondiale. En vérité, les Brics constituent à la fois un groupe hétérogène et homogène (surtout, par la volonté de s'affirmer comme de véritables acteurs politiques sur la scène internationale et de s'affranchir de la tutelle occidentale). Le potentiel existe bel et bien ; il suffit pour se convaincre de rappeler dans l'ordre certains traits significatifs animant le groupe Bric : 1-Le Brésil : plus de 192 millions d'habitants et une superficie de plus de 8 millions de Km2, c'est le 5ème pays du monde par la superficie et par le nombre d'habitants. 2-La Chine : 1 milliard et 338 millions d'habitants et une superficie de plus de 9 millions de Km2, c'est le 1er pays du monde par le nombre d'habitants et le 3ème par la superficie. 3-L'Inde: 1 milliard et 156 millions d'habitants et une superficie de plus de 3 millions de Km2, c'est le 2ème pays du monde par le nombre d'habitants et le 7ème par la superficie. 4-La Russie : plus de 141 millions d'habitants et une superficie de 17 millions de km2 (soit deux fois celle des USA), c'est le 9ème pays du monde par le nombre d'habitants et le 1er par la superficie. Le groupe BRIC rassemble 40% de la population mondiale et est à l'origine de plus de 16% de la croissance économique mondiale. Cette croissance sera de l'ordre de 40% vers 2025 suivant le rapport Goldman Sachs. L'ensemble de ces caractéristiques ne doit pas pour autant masquer les différences qui animent les 4 pays composant le BRIC : par exemple, le Brésil est considéré comme un géant agricole et riche en matières premières comme la Russie ; l'Inde est un géant pour les services informatiques. La Chine est le premier détenteur des bons du Trésor US avec des réserves importantes de change; le 2ème fournisseur des USA et le 1er de l'Union européenne ; elle est également le premier partenaire économique allemand en Asie devant le Japon : les échanges économiques avec la Chine sont estimés à près de 44 milliards d'euros. Il faut ajouter que l'Inde (pour les minéraux) et la Chine (pour le pétrole) ont renforcé leur présence sur le continent africain au point de se demander si ces puissances émergentes ne sont pas en quelque sorte en train de remplacer les anciennes puissances coloniales. La Russie fait partie à la fois du G8 et du G20 à la différence des autres pays du groupe Bric qui ne sont membres que du G 20. Par ailleurs, l'Inde est un ex-pays non-aligné (Groupe des 77) ; la Chine et la Russie restent des pays communistes ; le Brésil est une ancienne dictature d'Amérique Latine. La frontière séparant l'Inde et la Chine n'a jamais été délimitée et continue par conséquent de poser un sérieux problème dans les relations bilatérales des deux pays. Enfin, les Brics restent affectés par la pauvreté qui touche leurs populations rurales. Malgré ces quelques différences, le groupe Bric souhaite prendre part de manière active à la refonte du système international. La refonte du système international Pour bien affirmer leur autonomie sur la scène internationale, les Brics ont tenu deux sommets : le premier en Russie, le 16 juin 2009, où le débat a porté exclusivement sur les questions économiques, notamment pour contester la suprématie du dollar dans les échanges internationaux. Ils ont examiné aussi la possibilité d'utiliser leurs monnaies respectives dans leurs échanges internationaux et non plus le dollar. Quant au second sommet, celui-ci a eu lieu au Brésil, le 16 avril 2010. Les Brics ont manifesté lors du sommet 2 leur opposition s'agissant des sanctions économiques dans le dossier nucléaire iranien. La remise en cause de l'hégémonie occidentale sur le plan international, notamment américaine, et la cogestion de la mondialisation, telles sont les principales revendications formulées à l'occasion de ces deux sommets. La refonte du système international actuel ne peut être envisagée sans une réforme concrète du Conseil de sécurité et des institutions de Bretton Woods. La réforme du Conseil de sécurité Dans son rapport de 2004, intitulé «Un monde plus sûr : notre affaire à tous » (Nations Unies, pp.79-83), le Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, a abordé la question de l'élargissement du Conseil de sécurité des Nations Unies. Toutefois, les idées avancées sont restées lettre morte et n'ont pas permis d'aboutir à un projet concret de réforme de cet organe. Au contraire, il est envisagé une réforme pour 2020 avec une recommandation spéciale, à savoir l'interdiction d'élargir le droit de veto à d'autres nations, ce qui pose un réel problème en ce qui concerne la démocratisation des Nations Unies. Concernant les Brics, la Russie et la Chine sont déjà membres permanents avec un droit de veto ; l'objectif diplomatique de l'Inde et du Brésil est justement d'intégrer le Conseil de sécurité. En 2009, à la suite de l'élection du Brésil comme membre non permanent, le Président Lula a appelé pour une réforme urgente du Conseil de sécurité avec des sièges permanents attribués à des pays d'Amérique du Sud et d'Afrique. La Russie et la France plaident également pour une réforme du Conseil de sécurité en tenant compte des intérêts de l'Afrique. En pratique, le chemin reste long pour une véritable réforme du Conseil de sécurité ; le Brésil et l'Inde ne peuvent donc espérer un quelconque pouvoir décisionnel au sein des Nations Unies. En revanche, les Brics peuvent plaider en bloc pour un «Conseil de sécurité économique ». Pour conclure, il est patent que les Brics constituent aujourd'hui des acteurs incontournables du système économique international. L'idée de redessiner la carte géopolitique du monde par ces pays émergents reste séduisante, mais elle ne peut se concrétiser si ces pays ne sont pas véritablement associés à la réforme du système financier international (les institutions de Bretton Woods) et du Conseil de sécurité. La puissance économique et le pouvoir décisionnel au sein des institutions internationales, notamment l'O.N.U., restent des critères valables pour permettre à un Etat d'accéder au rang des «grands acteurs » de la société internationale.