Par le Pr Khalifa Chater Alternative à l'hyperpuissance et à ses alliés occidentaux ou simple velléité d'instaurer un establishment multipolaire, que faut-il penser de l'émergence du "Bric", l'acronyme qui désigne le groupe de pays formé par le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, sur la scène internationale ? L'émergence de nouvelles puissances régionales, qui veulent jouer leurs rôles dans une architecture internationale dominée par les puissances occidentales, est certes un fait acquis. Mais cette donne nouvelle doit être appréciée à sa juste valoir, sans être occultée ou sur-estimée. La Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud, par exemple, sont de plus en plus présents sur la scène internationale. Mais il faut admettre que leurs statuts sont sans commune mesure avec les puissances occidentales, particulièrement ceux qui détiennent le droit de véto au Conseil de sécurité, et l'Allemagne, après son unification. La thèse de Bertrand Badie, sur "L'impuissance de la puissance" (Fayard, 2004) est certes séduisante. Les Etats-Unis comme l'URSS n'ont pas pu maîtriser certains conflits périphériques. Se dégageant après une renonciation déchirante au Vietnam, les Etats-Unis sont actuellement "empêtrés dans le bourbier afghan". Ils peinent à se dégager des champs de bataille d'Irak et sont théâtralement défiés par l'Etat israélien. D'autre part, l'actualité récente évoque l'impuissance américaine dans la prévention de la catastrophe écologique et la "menace du mode de vie" de la Louisiane par la marée noire provoquée par le naufrage d'une plateforme pétrolière le 22 avril, dans le golfe du Mexique, dont la fuite est toujours en cours. Mais n'exagérons pas. Les Etats-Unis, qui cumulent une hégémonie militaire, économique et culturelle évidente, restent aujourd'hui une hyperpuissance. Peut-être faudrait-il évoquer tout simplement des velléités d'institution d'un ordre multipolaire? Après la disparition de l'Union soviétique et le déclin du tiers-mondisme qui s'ensuivit, le Bric aspire à prendre le relais de la contestation de l'ordre occidental. Lors de son sommet fondateur (Iekaterinbourg, Russie, 16 juin 2009), il a explicité ses objectifs : se posant comme une alternative géopolitique à l'actuel G8 ou encore aux grandes institutions internationales, la déclaration issue du premier sommet a appelé à la constitution d'un monde «multipolaire» et à la création d'une monnaie mondiale d'échange qui soit «diversifiée et stable». Le communiqué final du second sommet de Brasilia précisa les enjeux de la nouvelle configuration internationale : «Les dirigeants du Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine) ont conclu, le 15 avril 2010, leur sommet à Brasilia, appelant à la réforme du système financier international" et à la réforme de la répartition des votes à la Banque mondiale pour qu'elle soit accomplie aux prochaines réunions de printemps et «résoudre les problèmes de déficit de légitimité» du Fonds monétaire international (FMI) et de la BM, selon le communiqué. Pouvaient-ils, en dépit de leurs disparités structurelles démographiques, politiques et économiques, "développer une capacité de négociation collective et peser davantage sur les processus de décision au sein des enceintes internationales " ? (François Polet. http://www.cetri.be) L'intervention du Brésil et de la Turquie, pour engager le processus de négociation entre l'Iran et les puissances occidentales, et l'accord signé entre l'Iran, la Turquie et le Brésil sur un échange d'uranium étaient censés mettre un terme, ou du moins ralentir la perspective de sanctions et d'écarter l'ombre de la guerre. Son rejet par l'alliance occidentale surprend et inquiète l'opinion internationale. S'agit-il d'une volonté de redimensionner les puissances émergentes ? S'explique-t-il par un souci de remettre en question l'annonce d'une nouvelle architecture internationale ? La non-participation de l'Inde, le grand acteur de Bandung, et le rapprochement de la Russie et de la Chine des positions des USA reflètent un repositionnement différentiel qui limite les ambitions du Bric et atteste la pérennité de l'ordre monopolaire, malgré les esquisses de révision annoncées par Barak Obama.