Kaddafi s'est-il cru indéboulonnable depuis que l'Occident lui eut fait confiance après qu'il eut fait amende honorable? Souvenons-nous de sa spectaculaire volte-face. Il est vain de tenir bon, de s'embarquer dans des velléités de résistance, encore moins de forfanterie devant une Amérique plus puissante que jamais, même si certains pensent qu'elle serait sur une pente descendante. Il a vu Saddam assassiné comme un vulgaire condamné de droit commun, il a vu l'Irak réduit à un état végétatif, il a vu la plupart des potentats arabes continuer à faire allégeance à la nation la plus conquérante de l'Histoire. Bref, il s'était rendu à l'évidence, cette évidence que lui avait asservie Bourguiba, dans le fameux discours du Palmarium. Adoptant un profil bas, il a fait taire sa dignité et cédé à tout ce que l'Occident lui avait demandé en ajoutant même, en prime, des révélations qui ont surpris les Etats-Unis et l'Europe, des révélations sur ses préparatifs (déjà bien avancés, dit-on) visant à se doter de l'arme nucléaire. Et sur sa lancée, il a vidé tout son sac et s'est déclaré prêt à former barrière au devant de la pénétration terroriste et des «hordes» immigrées.
Les Occidentaux ayant fait passer l'attentat de Lockerbie dans la rubrique des faits divers, le Colonel s'est endormi sur ses deux oreilles avec la satisfaction du devoir accompli, la conscience tranquillisée. L'avenir s'annonçait rose devant lui et sa famille. Le régime de la Jamahiriya avait, sous un pouvoir qui sera certainement dynastique comme il l'est dans la plupart des nations arabes, de beaux jours devant lui.
Entretemps, et il ne s'en apercevait même pas comme tous les dictateurs, le peuple rongeait son frein. Sous la chape de l'arbitraire et de la tyrannie, une colère sourde grondait. Un mécontentement général s'emparait de la société. Non pas d'origine sociale puisque le pays est riche de ses recettes pétrolières (quoique une part importante de ces dernières sont détournées au profit de l'équipe au pouvoir) mais psycho-politique, le Libyen se sentant comme à l'écart du train mondial de la modernité et privé de toute liberté et de toute perspective d'épanouissement.
Puis ce fut la Révolution du Jasmin en Tunisie, suivie de celle de la révolution égyptienne. Prise dans une sorte d'étau médiatique, la Libye ne pouvait échapper à la contagion. L'on sait ce qui s'en est suivi. Libération de la Cyrénaïque. Poursuite des combats en Tripolitaine et dans le Fezzan, tous ponctués par des apparitions du «Guide» de la révolution à la TV, apparitions qui ont porté atteinte à sa silhouette de révolutionnaire. Les choses en sont encore à ce stade. On ne saurait encore prévoir la suite des événements.