"Les révolutions ont un coût, mains n'ont pas de prix". Le coût de la révolution tunisienne est jusqu'à présent très important. En comparaison avec d'autres révolutions, il semble que nous sommes de lion les moins pénalisés. A côté des pillages, incendies, grèves, sit-in,…qui ont caractérisé le pays depuis le 14 janvier, des phénomènes graves de dérégulation et de violation de la loi se sont manifestés. Parmi ces phénomènes on retrouve la confiscation des terres domaniales, les constructions anarchiques, les kiosques sur les trottoirs, les appartements de la SNIT squattés,…Le secteur du commerce a de son côté subi une dérégulation totale, et c'est l'anarchie qui caractérise le secteur jusqu'à présent, en attendant un difficile retour à la normale. Le paysage est des plus désolants, et vient entériner des années d'efforts pour mettre à niveau les circuits de distribution. Un approvisionnement normal L'une des caractéristiques les plus importantes de notre révolution c'est la continuité de l'approvisionnement du marché local, même durant les pires moments par laquelle on est passé. En effet, même durant les premiers jours de la révolution, c'est-à-dire durant la période allant du 14 au 20 Janvier, le marché local n'a pas enregistré d'importantes pénuries de produits alimentaires de base, ou d'autres produits tels que les hydrocarbures, ou le gaz en bouteille. L'approvisionnement était assuré même dans les régions les plus éloignées, et ce malgré le climat d'insécurité qui y régnait. Au niveau des prix, on n'a pas enregistré des hausses très importantes, ou des marchés noirs pour certains produits, sauf quelques dépassements tolérables de part et d'autres, de la part de certains commerçants peu scrupuleux. Les raisons de cette situation, inédite dans l'histoire des révolutions, sont multiples: - L'élan de solidarité qui a caractérisé les Tunisiens après la fuite du président déchu. On effet, les petits commerçants sortaient ce qu'ils possèdent en stock pour subvenir aux besoins des familles et des voisins. - Les pillages et les vols de certains commerces et grandes surfaces, et qui ont été commercialisés sur le marché local à des prix très bas, - La révolution tunisienne est survenue durant une période clémente pour la production agricole en Tunisie. En effet, les mois de janvier et de février, enregistrent d'habitude une bonne production agricole des principaux produits. - Les stocks régulateurs contrôlés par le Ministère du Commerce et du Tourisme, et qui ont permis de subvenir aux besoins du marché durant la période de crise. - On rappelle aussi que plusieurs familles tunisiennes se sont approvisionnés quelques jours avant la fuite du président déchu, en prévision de pénuries, après les évènements survenus dans certaines régions. Ce sont les principaux éléments qui ont permis d'assurer un approvisionnement normal du marché local, et d'éviter des scènes d'émeutes et de pénuries. La période post révolution: l'anarchie Après la révolution du 14 Janvier, le paysage du commerce intérieur a enregistré des scènes de dérégulation et d'anarchie totale. Parmi les manifestations de cette anarchie on cite: - Les implantations anarchiques de commerçants sur les trottoirs et en face des magasins. Ce phénomène n'a pas concerné seulement le grand Tunis, mais toutes les villes. Des scènes de bagarres ont même été enregistrées entre ces commerçants "anarchiques" et les propriétaires des boutiques. Le gouvernement, et après un long silence, est intervenu pour dégager et déloger ces commerces, mais le répit n'était que de quelques jours, car ces personnes sont revenues à la charge avec une plus grande intensité. Cette situation a gêné le commerce organisé, qui souffre déjà d'une perte considérable du chiffre d'affaires. Certains ont même préféré déposé le bilan, au lieu de perdre de l'argent chaque jour. L'absence des agents de la police et de la police municipale ont encouragé l'amplification de ce phénomène, qui revête un aspect plutôt social, aux dépens de l'économie. - L'abattage clandestin: le prix du kilo de viande a enregistré au cours des derniers jours, une légère baisse. En parallèle l'abattage clandestin, devant les bouchers se fait de jour comme de nuit, et sans vouloir le cacher. Les bouchers évitent d'aller aux abattoirs pour ne pas être obligé de payer la redevance obligatoire. Cet abattage qui se fait en dehors des conditions sanitaires a un impact important sur la santé du consommateur. Mais tant pis pour certain, puisque ceci revient moins cher. Aucune instance ne semble se saisir du dossier et interdire cet abattage, ni le ministère du commerce, ni celui de l'agriculture. C'est le même cas pour les poulets et volailles, qu'on vend vivant, dans des Isuzu, et aux yeux de tous le monde, même avec l'existence d'un texte juridique interdisant ce genre de commerce. - Les hydrocarbures, l'essence de contrebande surtout, est vendu dans les ronds-points et sur les trottoirs. Des zones entières ont été transformées en stations improvisées. Alors que cette pratique est légalement punie, par la prison, dans certains cas, elle se fait aujourd'hui en plein jour, à l'instar de ce qui se passait dans les frontières tunisiennes. - D'autres produits se vendent aussi sur les trottoirs, et devant les grandes surfaces, en toute liberté, et même "légalité révolutionnaire", tel que les parfums, les maquillages, les produits de beauté et les cigarettes. Ces étalages, à même le sol, enregistrent une affluence importante de la part des consommateurs, vu leurs bas prix, et ce aux dépens de la santé et des risques encourus. - L'impact le plus important de la révolution, est la dérégulation totale des circuits de distribution. En effet, un grand effort a été déployé par le ministère de commerce pour réguler ces circuits et les organiser. Une unité de gestion est créée depuis quelques années à cet effet. Depuis le 14 Janvier, les circuits sont chamboulés et chambardés dans l'anarchie la plus absolue. - Les bananes, qui se vendaient avant la révolution comme du petit pain, avec un kilo qui a atteint par moment 1.300 dinar, se vend aujourd'hui à son vrai prix, c'est-à-dire au-delà de 2.700 dinar. En effet, ce secteur était accaparé par les Trabelsi, qui se répartissent le marché entre eux. Ils arrivent à proposer des prix bas, à cause de fausses déclarations douanières sur les quantités et les prix d'achat. Parfois ils ne payaient même pas des droits de douanes. Les producteurs de fruits et légumes tunisiens, avaient longtemps souffert de cette situation, puisque le consommateur achète les bananes aux dépens des produits locaux, avec tout ce que ceci engendre de fuite de devises, et de déficit de la balance des paiements. Les phénomènes d'anarchie dans le secteur du commerce, après la révolution sont multiples, et il suffit de faire un tour au centre ville, ou dans n'importe quelle ville tunisienne, pour découvrir des centaines d'infractions. Une situation, qui, à notre avis, a longtemps duré, et qu'un terme doit être mis à ce dérapage qui a un impact grave sur toute l'activité économique. L'actuel gouvernement ne semble pas placer ce dossier dans l'ordre de ces priorités. Espérons que le réveil ne soit pas tardif, s'il ne l'est déjà pas. Quel rôle pour les structures de contrôle? Selon les déclarations de responsables du ministère du commerce, le contrôle économique semble être à l'arrêt depuis le 14 Janvier, vu la situation sécuritaire du pays. Les agents de la police municipale sont, de leurs côtés, au chômage technique, vu qu'ils ne peuvent pas travailler dans de telles conditions par peur de représailles. Des incidents ont été enregistrés à ce niveau. Donc le marché local est livré à lui-même. Les autres organes de contrôle sont aussi à l'arrêt, tel que les services du ministère de la santé et de l'agriculture. La reprise active du travail de ces organes est inhérente à l'amélioration de la situation sécuritaire du pays. En attendant, le consommateur doit payer de sa santé, et les commerçants ainsi que les industriels, continuent de payer le prix de l'anarchie du commerce. Il est important de préserver un minimum de contrôle et essayer de remettre de l'ordre dans le commerce intérieur. Il faut juste du courage et de la compréhension de la part du citoyen. La saison touristique va bientôt commencer, et ce n'est pas avec un paysage anarchique de notre commerce, que nous allons donner une bonne image de notre pays après la révolution. Il est nécessaire d'intervenir incessamment, avant qu'il ne soit trop tard.