Le phénomène a démarré à l'aube des années 90 et s'est accentué dans les années 2000. Et ce jusqu'à la chute du régime de l'époque. Il s'agit de la dépolitisation de la société. Une longue nuit au cours de laquelle la Tunisie allait s'abandonner, presqu'en toute quiétude, dans les bras du nouveau maître du pays. Excepté quelques personnalités dont l'offensivite allait être mise à rude épreuve du fait de mesures impitoyables de musèlement mises en œuvre par un pouvoir féroce et implacable. Est-ce à dire que l'ère bourguibienne n'a pas vécu le même scénario? Nullement, mais, au moins, il y avait des moments d'intenses débats qui donnaient le change et faisaient croire au citoyen qu'il participait à la dynamique politique du pays. Avec Ben Ali, rien de tel! Comment s'explique ce paradoxe qui a vu la société participer de son plein gré à l'endormissement du pays? La Tunisie, en effet, sortait en 1987 d'une longue agonie. Bourguiba, malade, allait confier les clés du pouvoir à un quarteron de courtisans qui ont investi le palais de Carthage. Ils étaient collés, nuit et jour, à ses basques, l'accompagnant dans ses bains de mer. Une de ses parentes avait la charge d'être à ses petits soins, de sorte que l'illustre chef était confiné dans un implacable enfermement. C'est-à-dire, la grave coupure avec la réalité du pays! Le pays devenait un bateau ivre dont on ne savait vers quelles incertitudes il menait sa cargaison de citoyens. Le 7 novembre, un cri de délivrance jaillissait des gorges. Mais personne ne s'était aperçu que ce n'était qu'un vulgaire coup d'Etat maquillé en un changement soi-disant opéré en toute légalité. Les gens n'y ont vu que du feu. Le manifeste du 7 novembre était la potion magique destinée à faire avaler la pilule. Ses premières années du régime ont été marquées par des mesures et des initiatives qui semblaient consacrer le règne naissant de la démocratie et des droits de l'Homme, deux orientations destinées certainement à couper l'herbe sous les pieds d'éventuels contestataires. Tout baignait dans l'huile et le peuple, confiant dans le discours officiel, ne ressentait pas le besoin de se livrer à un quelconque débat sur la chose publique. C'était le début d'une dépolitisation forcenée, menée tambour battant, à l'aide d'une politique coercitive qui bâillonnait toute voix susceptible de «troubler» l'onde ambiante. Et cela s'est poursuivi jusqu'à la chute du régime. Ce jour-là, le peuple s'est réveillé brutalement sur une liberté récupérée. Si brutalement qu'il s'y est investi avec une ardeur juvénile. Du coup, adieu les sempiternels brouhahas sur le football. C'est la politique qui prime désormais, la politique avec son bon grain et son ivraie. La politique sous toutes ses coutures. Une politisation à outrance: l'intellectuel bavardant avec le manuel, la bonne damant le pion à la maîtresse de maison, le vieillard à la barbe blanche avec le jeunot au visage glabre. Tout un méli-mélo qui peut donner lieu à des dérapages dont le pays, à l'heure de la transition, n'a pas besoin. L'essentiel étant maintenant de savoir garder raison. Au nom de l'intérêt supérieur de la nation. Et d'éviter de prendre à la légère la gravité de la situation.