Le 26 janvier 2014, l'Assemblée nationale constituante a adopté la nouvelle Constitution avec 200 voix pour, 12 contre et 4 abstentions. Discutée dans un esprit de consensus, cette Constitution répond aux exigences d'un Etat de droit en termes de protection des libertés d'expression et d'information. Bien que leur formulation ne soit pas entièrement satisfaisante, l'adoption des articles relatifs à la liberté d'expression (article 31), à l'accès à l'information (article 32) et à l'Instance de"Reporters sans frontières salue avec émotion la concrétisation de l'un des objectifs majeurs du soulèvement populaire de 2011. L'achèvement du processus constitutionnel, entamé au lendemain des élections du 23 octobre 2011, marque un tournant décisif pour la Tunisie. Le départ de Ben Ali avait ouvert la voie au pluralisme médiatique, mais des lois répressives héritées de l'ancien régime avaient été maintenues. Désormais la liberté de l'information est consacrée dans la Constitution, ce qui crucial pour la démocratie tunisienne mais ne saurait suffire", déclare Christophe Deloire, Secrétaire général de Reporters sans frontières. "Afin que l'article 31 de la Constitution garantissant le respect de la liberté d'expression soit pleinement respecté, tout comme les engagements internationaux de la République tunisienne, il est impératif que les acteurs, au premier rang desquels le législateur, les autorités judiciaires et les forces de sécurité, agissent de concert dans un souci constant de respecter et faire respecter le principe de la liberté d'information", ajoute Me Prisca Orsonneau, coordinatrice du Comité juridique de l'organisation. Une grande vigilance s'impose quant à l'application des principes inscrits dans ce texte. Début décembre, Reporters sans frontières avait souligné les insuffisances du texte, alors en discussion. Rares ont été les amendements adoptés en vue de clarifier et préciser la rédaction des articles relatifs à la liberté d'information, à l'exception de l'article 125, dont l'amendement a permis de limiter la compétence de l'autorité de régulation au secteur audiovisuel. L'amendement réintroduisant l'"interdiction de l'atteinte au sacré" (article 6) et l'ajout de la "moralité publique" (article 49), pouvant tous deux restreindre la liberté d'expression, sont également sources d'inquiétudes". L'organisation qui a suivi avec attention les votes, article après article, rappelle ses observations : Or Reporters sans frontières souligne que la neutralité de l'Etat, proclamé "gardien de la religion" et "protecteur des sacrés" n'est pas consacrée dans le texte adopté. L'amendement de cet article, voté le 23 janvier, à la veille de la clôture des discussions, introduit l'interdiction de l'atteinte au "sacré", notion qui n'est pas définie. Reporters sans frontières considère que l'atteinte au sacré ne constitue pas une limitation acceptable à la liberté d'expression en vertu des standards internationaux en vigueur et regrette le vote de cet amendement qui ouvre la porte à des dispositions juridiques incriminant les discours et écrits qui seraient jugées attentatoires aux croyances religieuses. Dans les différents projets de texte, la criminalisation de l'atteinte au sacré avait pourtant été abandonnée, ce qui avait été salué comme une avancée majeure. En outre, l'introduction de l'interdiction du crime d'apostasie, ajoutée sous le coup de l'émotion, n'a pas sa place dans un article de la Constitution. L'adoption de cette disposition, qui affirme que la Constitution prévaut sur les engagements internationaux, et que ces derniers peuvent donc être écartés, constitue pour Reporters sans frontières, une grande déception et une source de préoccupation. Cet article n'a pas été modifié, malgré les critiques qui avaient été émises précédemment. Il affirme que la Constitution prévaut sur les engagements internationaux, qui peuvent donc être écartés. Cette formulation est positive même si l'organisation regrette que la liberté d'expression n'ait pas été davantage définie dans l'article 31 et qu'aucune mesure particulière n'ait été adoptée pour la renforcer. Cette liberté doit être garantie, non seulement en tant que droit fondamental, mais également comme pilier des autres droits. Il n'est pas précisé, par exemple que cette liberté est garantie pour tous, sans question de statut, d'âge ou de nationalité, au-delà des frontières et pour tout mode d'expression et support. Il n'est pas fait non plus mention des communications sur Internet, des garanties sur le secret des sources ou sur l'indépendance des médias. L'équilibre introduit à l'article 49, demandé par de nombreuses organisations, constitue une avancée notable. L'ajout du "respect de la proportionnalité et (de la) nécessité » est positif. En revanche, la condition de précision de la loi, requise par le Comité des droits de l'homme, groupe d'experts chargé d'interpréter le Pacte International des droits civils et politiques (paragraphe 25 – Observation générale n°34), a été écartée. En outre, il est préoccupant de constater que parmi les intérêts à protéger et permettant, de fait, de limiter une liberté, a été ajoutée « la moralité publique ». Bien que cette restriction apparaisse dans l'article 19 du Pacte International des droits civils et politiques, le fait qu'aucune référence ne soit faite à ce dernier pose question. Cette insertion semble particulièrement dangereuse dans le contexte actuel car elle ouvre la porte à une limitation de la liberté d'expression au nom de la protection de cette notion floue et particulièrement malléable de la protection de la moralité. En dépit de ses écueils, la nouvelle Constitution pose des bases prometteuses et engage les générations futures à sauvegarder les libertés. Le gouvernement de Mehdi Jomaâ, et les responsables politiques qui seront appelés à lui succéder à l'issue des élections, doivent s'attacher à protéger les droits de l'Homme et à être les garants de la liberté d'expression.