Pour les observateurs avertis, la démission de Hamadi Jebali, de son poste de Secrétaire Général d'Ennahdha, n'est pas vraiment une surprise dans son annonce mais dans son timing. La décision est MËME trop tardive pour certains. Pour de raisons « personnelles et objectives », a-t-il asséné. D'aucuns estiment qu'il aurait du et pu claquer la porte après qu'il fût désavoué par son parti quant il avait proposé la démission de son gouvernement et la constitution d'un gouvernement neutre de technocrates comme solution de sortie de la crise que le lâche assassinat de Chokri Belaid avait précipité. Cet épisode a constitué la première ligne de fracture entre Hamadi Jebali et son parti. Avalant la couleuvre et le désaveu, Hamadi Jebali a fait profil bas, dans ses petits souliers, évitant autant que possible la scène médiatique et le paysage politique. Il a également brillé par son absence dans les phases les plus critiques et décisives du processus du Dialogue National. Une forme de retrait qui confinait à la démission morale. Il n'est pas exclu que la guerre des ailes, la course au leadership, la double identité (politique ou prédication) et l'hégémonie rampante de « Majless Choura » aient lessivé Hamadi Jebali et aient réduit à la portion congrue son poids dans la définition de la ligne politique et dans la gestion quotidienne du parti. Et pour cause ! On a rarement vu un Secrétaire Général, qui plus est leader historique, d'un grand parti soit aussi effacé, aussi déphasé et aussi peu écouté. En quittant son poste, il laisse l'arène de son parti à toute sorte de fauves, prêts à s'entretuer pour arracher le gros lot. Les faucons aiguisent leurs griffes et affutent leurs tactiques d'assaut. Pourquoi Hamadi Jebali a t-il décidé maintenant de lâcher les armures et de rendre public son choix de démission ? Et quelle signification peut-on accorder à l'acte de démissionner de son poste de Secrétaire Général tout en maintenant son adhésion organique au parti ? Ce jeu d'amalgame prête fortement à confusion. Il semble là que Hamadi Jebali ait voulu beaucoup plus passer un message qu'aller au bout de son idée. Aurait-il nourri la crainte, somme toute compréhensible, de signer sa propre mort politique s'il quittait définitivement Ennahdha ? Pour se justifier de toute velléité ou accusation de faire faux rebond, de faire scission ou de miner son parti, il s'est répandu en mots rassurants et en professions de foi, notamment sur les intentions que d'aucuns lui prêtent de fonder une nouvelle formation politique ou de rejoindre un autre parti. A moins qu'il s'agisse là d'un subterfuge, d'une manœuvre, dont les gourous d'Ennahdha sont passés maitres, suffisamment rompus à l'art du camouflage, pour faire le lit de Hamadi Jebali aux prochaines élections présidentielles. L'hypothèse n'est pas à écarter. L'intéressé lui-même n'a fait que dégager en touche, prétextant que le contexte n'est pas encore mûr pour prendre une telle cruciale décision. En tout cas, la porte n'est pas définitivement fermée, elle reste entrouverte. En quelque sorte, il aurait jeté l'éponge pour paver un autre chemin...vers Carthage peut-être ! L'intronisation Mehdi Jomâa, avec son gouvernement de technocrates, au terme d'une sulfureuse course à la primature et un processus de négociation tout autant heurté que manipulé, a en fait donné raison à Hamadi Jebali, même après coup. Il avait raison sur la manière de sortir de la crise, ce qui aurait peut-être fait de l'ombre et donné un sang d'encre aux caciques de son parti et qui, en réaction, l'auraient réduit en minorité, voire en miettes. La rivalité fratricide bat son plein au sein d'Ennahdha, les démissions en saignent l'assise et mettent en agitation la base. Le guide spirituel et le maitre, Rached Ghannouchi, a compris qu'il lui faudra mettre un bon ordre et mener sa barque vers des rivages moins tumultueux et plus féconds. D'ailleurs, la démission de Hamadi Jebali, à la veille du référendum que compte organiser Ennahdha sur le maintien ou non de la date de son congrès extraordinaire, laisse penser que Hamadi Jebali a voulu anticiper et sauver sa peau avant qu'il n'en soit dégagé par les faucons, notamment Rached Ghannouchi, qui semble-t-il est plus convaincu que jamais de l'impératif de donner un coup de pied dans la ruche, restructurer son parti et introduire un sang nouveau dans les artères sclérosés de la direction centrale notamment après un exercice infructueux et non moins épuisant du pouvoir. En tout état de cause, la démission de Hamadi Jebali soulève non seulement des questions sur son timing, sa raison profonde et sa pertinence, mais elle laisse la porte ouverte à toutes les interprétations, même les plus aberrantes. L'ex chef du gouvernement, qui n'est pas à sa première démission, est appelé à trancher dans le vif et répondre à la seule question : Etre ou ne pas être ...au sein d'Ennahdha. Il ne peut rester d'une manière indéfinie entre deux chaises, ce n'est ni confortable ni productif. Il ne peut prendre l'habit d'indépendant tout en étant drapé de la tunique de son parti. C'est à la fois discréditant et ingérable. Le flou artistique dont Hamadi Jebali fait montre requiert moult grands écarts, sauts périlleux et exercices d'acrobatie. S'il ne choisit pas vraiment son camp, il se tirerait une flopée de balles dans le pied, il s'en flinguerait et trouerait, en même temps, la peau de sa carrière politique.