Rome vient de délivrer des titres de séjour aux migrants tunisiens. Paris refuse de les accueillir. Journée à hautes tensions. Hichem est perdu. Sur le parvis de la gare de Vintimille, ville frontalière avec la France, ce Tunisien peste. “J'ai dit dégage à Ben Ali et, maintenant, c'est à moi qu'on dit dégage”. Il ne comprend pas pourquoi Paris refuse de l'accueillir, ainsi que ses milliers de compatriotes réfugiés dans la petite cité italienne. “Ils m'ont promis que ça suffisait”, soupire-t-il en sortant de sa poche un permis de séjour flambant neuf, délivré quelques jours plus tôt par le commissariat de police de Vintimille. Cette carte s'accompagne d'un “titre de voyage pour étranger”, sorte de livret conçu sur le même modèle que les passeports européens… et censé jouer le même rôle à travers l'espace Schengen. Début avril, pour répondre à l'afflux de clandestins qui débarquaient en Sicile, Rome annonçait son souhait d'accorder un permis de séjour temporaire à tous les Tunisiens arrivés sur leur territoire avant le 5 avril. La décision italienne avait provoqué la colère de Paris, qui, dès le 7 avril, publiait un décret rappelant aux préfets les règles de la convention de Schengen. À savoir que tout titre de séjour temporaire n'aurait aucune valeur s'il n'était pas accompagné d'un passeport en règle et que des ressources suffisantes (62 euros par jour, 31 si la personne est hébergée) étaient exigées. Les premiers documents ont été délivrés vendredi par l'Italie. “Un beau souvenir…” À la frontière, la situation est, depuis, particulièrement tendue. Des dizaines de jeunes Italiens soutenant les migrants ont débarqué dimanche à Vintimille. Leur objectif : tenter d'aider les ex-sans-papiers à traverser la frontière car, faute de moyens ils ne peuvent la franchir légalement. La préfecture des Alpes-Maritimes a, du coup, donné l'ordre d'interrompre le trafic ferroviaire entre la France et l'Italie. Selon Luciano Cosco, président de la Croix-Verte locale, des dizaines de migrants se sont dirigés vers le consulat de France à l'annonce de cette mesure avec la ferme intention d'en découdre. Les forces de l'ordre italiennes se sont interposées avant qu'ils n'entrent en action. Le calme est revenu progressivement dans la soirée, au fil des rotations de bus de la Croix-Rouge venus chercher les migrants pour les déposer dans les centres en périphérie de la ville. Dans les rues, encore, les forces de l'ordre, les personnels de la Croix-Rouge et de la Croix-Verte et le maire de Vintimille, Gaetano Scullino, sonné et “fatigué” par les événements de la journée. Au même moment, sur la plage, quelques migrants s'installent pour la nuit. Eux n'ont pas encore obtenu leurs documents. Ils n'en attendent plus grand-chose après les événements de la journée. Leur seul réconfort, une page de journal arrachée et minutieusement rangée dans leur poche. Datée du 4 avril, elle montre une photo. La photo de leur arrivée en barque à Lampedusa. “Un beau souvenir”, confie Zied, 20 ans, avant de murmurer : “On a réussi à quitter la Tunisie, on réussira bien à quitter l'Italie.” C'est leur nouveau défi. Et la Belgique renforce les contrôles douaniers La Belgique a renforcé depuis quelques jours les contrôles douaniers dans les aéroports de Zaventem et de Charleroi alors que les autorités italiennes ont commencé à délivrer des permis de séjour temporaires à des milliers d'immigrés tunisiens arrivés récemment sur leur sol, a indiqué dimanche le cabinet du secrétaire d'Etat compétent, Melchior Wathelet. Depuis les protestations en Tunisie, quelque 22.000 immigrés se sont rendus en Italie. La majorité d'entre eux souhaitent partir en France. Compte tenu de l'afflux important, les autorités italiennes ont décidé d'octroyer des permis de séjour temporaires pour protection humanitaire qui permettront aux migrants de voyager durant trois mois dans tous les pays de la zone européenne Schengen. Mais des conditions doivent être remplies, a-t-on précisé au cabinet du secrétaire d'Etat à l'Asile et aux Migrations. Ainsi, les migrants doivent être en possession de leurs papiers, emporter suffisamment d'argent et pouvoir justifier clairement le but de leur voyage. Ce sont ces critères qui sont davantage contrôlés pour l'instant. En outre, M. Wathelet a demandé aux villes et communes, par le biais d'une circulaire, de faire écho de ces conditions. Il leur a également demandé de contrôler si chacun se faisait connaître dans les trois jours après son arrivée. Le but est de se faire une idée de la situation, selon la même source. Il est difficile de savoir pour l'instant si beaucoup de migrants afflueront. Au cabinet de M. Wathelet, on souligne que la diaspora tunisienne est petite par rapport à celle établie en France. Par ailleurs, le cabinet ne s'attend pas à un afflux important dans l'immédiat.