En Tunisie, depuis bientôt cinq ans, la notion de « modèle de développement » est reprise et galvaudée, jusqu'à la banalisation, par tout le monde, à gauche comme à droite, à la majorité comme à l'opposition, toutes catégories confondues, classe politique, société civile, communauté médiatique et opinion publique, sans en préciser la définition ni établir le périmètre. En effet, à leurs sorties médiatiques à ce sujet, ils laissent penser qu'ils souffrent d'une confusion théorique et d'une ambiguïté conceptuelle, confondant entre modèle de développement et plan d'action. A entendre pérorer les ministres à ce propos, le modèle de développement est réduit à un ensemble de chantiers inscrits dans le programme de développement préconisé par le gouvernement. Il y a lieu de préciser que, dans une certaine mesure, le modèle de développement répond à une stratégie alors que le plan procède de la tactique. Le modèle est un schéma à suivre, un cadre de référence, une ligne directrice, un axe fondateur et fédérateur sur lequel s'articule la politique de développement préconisée par le gouvernement. Il faut comprendre que le plan quinquennal n'est pas le modèle de développement. L'inverse est tout aussi vrai. La même différence entre le fond et la forme, dans la mesure où le modèle de développement est un choix d'économie politique par excellence alors que le plan de développement n'est qu'un assortiment de projets de politique économique. Et c'est quand même à déplorer que les ministres en charge de l'économie nationale ne cessent de trébucher sur la confusion entre les deux concepts, donnant au programme gouvernemental la dimension d'un modèle de développement. Cet amalgame, conscient ou inconscient, pose problème dans ce sens qu'il suggère qu'aucune réflexion n'a été menée, au sein de l'Etat, pour définir le dispositif, la nature, la portée et l'objectif du modèle de développement. Il n'y a pas de modèle de développement de référence, utilisable partout et à tout moment. Le contexte socioéconomique conditionne l'architecture du modèle de développement à concevoir et à mettre en place. A chaque environnement son propre modèle. Une situation de crise appelle un modèle différent de celui requis dans une situation de prospérité. Un pays au bord de la banqueroute, comme c'est le cas de la Tunisie en ce moment, nécessite un modèle adapté, taillé sur mesure. Un pays en guerre civile ou en guerre tout court adapte son modèle de développement à ses contraintes, à ses besoins et à ses priorités. Le plan de développement n'est là que pour servir les axes structurant le modèle et ses cibles stratégiques assignés. Le premier et ultime objectif de tout modèle de développement est d'améliorer la qualité de la vie et le cadre social de l'ensemble de la population, toutes catégories sociales et régionales confondues. Une ambiguïté, trop souvent traité comme postulat, reste à lever : Le développement n'est pas la croissance, les indicateurs et les schémas diffèrent. En Tunisie, deux modèles ont été mis en place : Le modèle étatiste, à forte densité socialiste (Sous Ahmed Ben Salah) et le modèle néolibéral à conception keynésienne (Depuis Hédi Nouira jusqu'à nos jours). Le dogme socialiste ou néolibéral semble avoir fait son temps. Une autre voie est-elle possible, auquel cas laquelle ?! La Tunisie est actuellement en situation de redéfinir son économie politique et d'identifier une alternative au modèle de développement capitaliste qui a certes amélioré la situation socioéconomique tunisienne à une période, mais qui a atteint aujourd'hui ses limites. Les deux modèles, pratiqués en Tunisie, avaient certes le même objectif, à savoir le développement, mais n'avaient pas le même contexte historique, la même connotation idéologique, le même format et la même cible. Le premier était plutôt à dimension politique ambitionnant, sans guère de succès, une répartition équitable des richesses, aggravant la pauvreté des catégories moins nanties. Le deuxième étant d'ordre économique favorisant en dernière analyse la caste des nantis tout en créant une large classe moyenne qui, avec sa demande croissante, a permis au modèle d'évoluer, de faire ses preuve à un moment puis de survivre jusqu'à présent. Après le politique et l'économique, le social solidaire doit être la pierre angulaire du nouveau modèle de développement, si nouveau modèle il y a. En effet, le pressenti nouveau modèle doit être différent dès lors que l'environnement socioéconomique accuse nombre de contraintes et de lignes de blocage. Le contexte actuel tunisien n'est plus le même ni adaptable au modèle socialiste ou néolibéral. La paupérisation est rampante, la classe moyenne est en nette régression en termes de taille et de capacité de demande, le déséquilibre régional gangrène davantage le pays, la récession économique est flagrante, l'Etat est au bord de la faillite, l'environnement régional hostile, la situation sécuritaire à haut risque. Tout autant d'handicaps que les deux modèles précédents n'ont pas eu à intégrer et dont le nouveau est tenu de tenir compte dans sa conception et dans sa formulation. Il y a quelques principaux axes caractéristiques, stratégiques et structurants sur lesquels tout modèle de développement est censé s'articuler : En conclusion, l'environnement tunisien, avec ses entraves et ses défaillances, nécessite un nouveau modèle de développement, tout autre schéma global et intégré, capable de charpenter les politiques publiques vers le progrès dans toutes ses formes et expressions. Une meilleure qualité de vie, économique, sociale, culturelle, écologique est la finalité ultime de tout modèle de développement, lui-même ferment principal de tout modèle de société. En Tunisie, un modèle de développement social et solidaire, où le développement humain est au centre de l'action et de l'objectif, n'est pas seulement un choix d'économie politique mais aussi et surtout un impératif historique.