Qu'on le veuille ou non, et malgré tous les discours prônant l'égalité et la dimension genre, la scène politique tunisienne accuse un net paradoxe et nourrit une culture pour le moins sexiste. La femme tunisienne, en dépit de son talent, de sa compétence, de son engagement et de son cran, reste le parent pauvre de l'environnement politique national. Les portes de la haute responsabilité politique et de la première sphère républicaine de décision lui sont encore fermées, chasse gardée de l'engeance masculine. Une mentalité empreinte de machisme continue d'en exclure la femme. Les pesanteurs de la société patriarcale sévissent encore et plombent les ailes de la parité. Recalée de la course vers Carthage, toujours pour les mêmes motifs, notamment le double langage de la classe politique, la femme tunisienne est en mesure de jouer sa carte vers la Kasbah. D'autant plus que la société tunisienne est suffisamment mûre pour voir d'un bon œil la désignation d'une femme à la tête du gouvernement d'union nationale. Il est temps, plus que jamais, de franchir le Rubicon. Mais, apparemment, autant la société tunisienne est prête à négocier ce genre de tournant autant la classe politique ne semble pas être sur la même longueur d'onde. Net décalage et grand dommage! Comme quoi, les formations politiques les plus représentatives sont encore incapables de dépasser les discours, les professions de foi et les bonnes intentions, en matière d'égalité et de genre, et concrétiser sur le terrain leurs pétillantes paroles. Le projet bute sur des écueils liés à l'absence de volonté politique et au manque d'engagement de conférer les conditions réelles d'expression aux principes d'égalité. Même les partis se réclamant de la culture moderniste et démocratique n'en conservent qu'un regard machiste. Le président de la république lui-même, porté à Carthage essentiellement par le vote massif des femmes en sa faveur, n'a pas fait mieux que leur tourner le dos et d'éluder le message central livré par le scrutin d'Octobre et Décembre 2014. Combien de femmes comporte son cabinet présidentiel ? Elles l'ont mené à bout de bras à la magistrature suprême pour être reléguées au second plan, voire aux bas-fonds de la république, quand il s'agit de hautes responsabilités à la tête de l'Etat. Pour nombreux hommes et partis politiques, l'égalité et la parité ne sont que des slogans de campagnes, des effets d'annonce et des coquilles vides. Il ne s'agit pas de tenter un coup, de plaider autrement ou de faire valoir quelque discrimination positive, concept machiste en soit au demeurant, mais de casser le cercle vicieux des tabous, de reconnaitre le mérite de la femme tunisienne et de valoriser sa capacité de diriger et jouer un premier rôle avec brio et succès. En conséquence, le blocage est plus culturel que politique. Ce ne sont certainement pas les attributs de compétence, de mérite ou de profil qui desservent la femme tunisienne, mais un ordre politique profondément hostile à la femme mais sans dire son nom. Dans l'ADN de la Tunisie, les chromosomes de la femme tunisienne sont bien tangibles et bien agissants. C'est une force de frappe, de proposition et de progrès et un élément d'équilibre social. Premier rempart de défense contre toute dérive rétrograde et contre toute velléité de remettre en cause son statut et son capital, elle est, en quelque sorte, le système immunitaire de la société tunisienne et en première ligne quand il est question de menace contre les acquis modernes, séculiers et égalitaires de la société tunisienne. Le combat est culturel par essence. Pour sa part, la femme tunisienne est appelée à se prendre en charge, faire preuve d'audace, braver les tabous, élever la voix, s'assumer dans l'échiquier politique et grignoter des positions. En conclusion, plaider pour l'élection d'une femme au poste de chef de gouvernement n'est ni une vue de l'esprit ni un vœu pieux. D'autres peuples où les conditions de la femme sont autrement moins authentiques que celles prévalant en Tunisie, ont franchi le pas depuis belle lurette. Il n'y a aucune raison que la femme tunisienne, riche d'un capital d'émancipation bien plus solide et forte de ses propres acquis et de ses propres batailles sociales et politiques gagnées haut la main, soit indigne de trôner à la Kasbah. Aujourd'hui, plus que jamais, la femme tunisienne est en mesure d'honorer le poste et de lui donner son lustre et son prestige. A cet effet, elle est capable de se surpasser et de supplanter l'homme à plates coutures.