Tous les tunisiens n'avaient rien d'autre à faire, en ce lundi, que de crier au scandale. Ils trouvaient aberrant que des parents laissent leurs enfants en bas âge, seuls dans la maison, en partant au travail. En effet, une passante interpellée par les appels d'un petit garçon qui était, apparemment, enfermé chez ses parents, du côté de l'Ariana, a jugé bon de filmer le gosse en question, et de poster sa séquence vidéo sur les réseaux sociaux. S'en est suivi un branle bas de combat chez les internautes, qui a fini par secouer les autorités régionales qui ont envoyé leurs représentants pour retirer manu-militari les deux enfants à leurs parents négligents, pour les placer dans une institution de prise en charge des enfants. Car, en réalité, en plus du petit garçon qui appelait au secours, les agents ont eu la surprise de le trouver accompagné de sa sœur âgée d'à peine huit mois. Et aux tunisiens de se lâcher contre les deux parents « indignes », de les traiter de tous les noms, et de saluer l'intervention des autorités et le fait qu'ils aient soutiré les enfants de chez leurs parents. S'il est bien évident que les deux parents en question sont coupables de négligence grave et d'avoir mis en danger la vie de leurs enfants, et s'il est tout aussi évident qu'ils sont passibles de poursuites pour leur forfait, personne ne s'est posé la question de savoir ce qui les avait poussés à agir de la sorte. Personne ne s'est dit que les deux parents n'avaient, certainement, pas agi de gaité de cœur. Personne ne leur a cherché d'excuses. Personne ne s'est dit que, probablement, ils n'arrivaient plus à s'en sortir avec une maigre paie du père et qu'il fallait absolument, pour nourrir les enfants, que la mère sorte à son tour pour travailler et ramener quelques sous supplémentaires. Personne n'a pensé que les pauvres parents ne pouvaient plus subvenir aux besoins de leurs enfants à cause de la flambée des prix qui a mis à rude épreuve la quasi-totalité des foyers tunisiens. Personne n'a pu deviner le désarroi des parents, déracinés de leur bled d'origine, qui n'ont trouvé ni mère ni belle mère pour garder les enfants, et qui n'ont certainement pas, de quoi payer une crèche pour deux enfants... Mais, aussi, personne ne s'est posé la question de savoir quelle est la part de responsabilité de l'Etat, en l'occurrence, le ministère de la femme, de la famille et de l'enfance ? Pourquoi a-t-il fallu en arriver à ces faits, et pourquoi ce ministère se contente du rôle de pompier qui accourt pour éteindre le feu (surtout quand il flambe sur les réseaux sociaux) ? Pourquoi, au lieu de jouer à la cavalerie et venir arracher des enfants à leurs parents, croyant leur offrir de meilleures conditions dans une institution de l'Etat (ce qui serait plus qu'étonnant), les dignitaires du ministère de la famille n'ont pas anticipé ce genre de situation d'impasse dans laquelle se trouvent, très certainement, des dizaines d'autres couples ? Pourquoi ne bouge-t-on du côté de l'Etat que pour sévir ou pour contrevenir ? Pourquoi n'agit-on jamais pour prévenir et anticiper les catastrophes ? Pourquoi n'ont-ils pas fourni aux familles dans des situations pareilles une alternative, en ouvrant des crèches à bas prix si ce n'est des institutions gratuites pour les indigents, ou en cherchant avec la myriade des ONG's qui se prétendent défenseurs des droits de l'homme et de l'enfant, des solutions d'aide à ses foyers en difficulté ? Est-ce que la solution à de tels dépassements réside bien dans le fait de foutre les parents en prison et de leur confisquer leurs enfants ? De toutes les façons, cette solution coûte bien plus cher que l'ouverture de crèches gratuites, si les contribuables vont avoir à payer des séjours en taule pour les parents et en institution pour les enfants, à chaque fois que telle situation se répète. Alors, de grâce ! Arrêtons de faire des procès aux gens malheureux, et essayons, pour une fois, de positiver les choses, en réfléchissant, ensemble aux solutions qui nous éviteraient de telles « catastrophes » !