Rares sont les familles satisfaites de l'encadrement offert à leurs enfants en bas âge et ce, qu'ils soient gardés dans les crèches ou, chez eux, sous la responsabilité d'assistantes maternelles ou d'un proche parent. Les familles reprochent généralement un manque flagrant de savoir-faire dans la prise en charge de cette tranche d'âge. Lequel manquement trouve son origine dans l'absence de formation spécialisée de la préposée à cette tâche dans les structures spécialisées. Ce diagnostic a rejailli de toutes les enquêtes opérées dans le secteur de la petite enfance. Il n'y a pas de cursus de formation d'une puéricultrice. Il n'y a pas, non plus, de cursus de formation d'une assistante maternelle. Cette petite enfance est léguée aux recettes des bonnes mères. Pourtant, il s'agit d'un segment important de la population et, surtout, de la période de la vie de l'enfant qui influe le plus sur la constitution de sa personnalité.
La question est d'autant plus d'actualité, qu'il est vraiment rare que les débats quotidiens d'une quelconque famille ne fassent pas cas des mauvaises conditions dans lesquelles « vivent » les enfants. Cette problématique représente un centre d'intérêt inévitable pour les familles, que ce soit pour leur nourriture, leur hygiène ou leurs loisirs. La garde des enfants représente d'ailleurs une priorité pour les familles, notamment ceux qui ont une progéniture en bas âge. Le besoin d'un bon encadrement de cette petite enfance est donc une nécessité. Il est d'autant plus évident que l'on se rend compte, de plus en plus, de l'importance de l'éducation durant cette tranche d'âge. La constitution de la personnalité de tout être humain commence à se tracer dès sa naissance. Ses traits caractéristiques s'acquièrent progressivement durant les trois premières années de sa vie. D'où l'importance cruciale de cette phase sur le futur de chacun et l'intérêt qu'elle ne cesse de susciter. Seulement, comment répondent les Tunisiens à ce besoin ?
Etat des lieux L'intérêt porté à la petite enfance se renforce incessamment, aussi bien dans les familles que dans les programmes officiels. Des lacunes sont, encore, constatées notamment dans le volet de l'encadrement. Plusieurs structures continuent à ignorer la différence entre les spécificités des jardins d'enfants et celles des crèches. La séparation dans les espaces n'est pas très stricte. La question de l'apport pédagogique de la garde du petit enfant, n'est pas à l'ordre du jour. L'intérêt porté aux volets, psychomoteur et éveil, de l'enfant, est récent. La garde de l'enfant se limite généralement à une question de proximité et de coût. La fonction est assurée par des jeunes filles prises dans le tas, sans aucune formation spécifique. D'ailleurs, et jusqu'en 2006, il n'y avait aucun établissement scolaire, universitaire ou professionnel qui assure une formation spécialisée en la matière. D'ailleurs, le secteur de l'encadrement de la petite enfance est assuré actuellement par près de 200 établissements agréés et un nombre indéterminé d'assistantes maternelles. Et puisque la tranche agréée ne couvre même pas 10 % du nombre total des enfants, il est clair que la majorité est accaparée par la tranche informelle. D'où l'intérêt récemment porté à cette catégorie et le véritable souci de formation qui lui est accordé, sans oublier bien sûr les crèches agréées auxquelles un programme de certification est en cours d'élaboration. Des interrogations demeurent toutefois pertinentes sur l'efficacité des programmes adoptés pour la formation. C'est pourquoi, Le Temps a contacté le Dr Nora El Hajjem, chargée de ce programme auprès du ministère des Affaires de la Femme, de la Famille, de l'Enfance et des Personnes Agées, pour des précisions sur ces programmes. Mourad SELLAMI
Trois questions à Nora Hajjem : « On dispose désormais de cursus pour la formation des encadreurs de la petite enfance. Les résultats ne sauront tarder »
Le Temps : Comment expliquez-vous le constat de faible taux d'intégration de la petite enfance par les crèches agréées ? Nora Hajjem : Il y a d'une part la recherche de proximité et du moindre coût auprès d'un parent ou d'un proche voisin. Personne ne peut ignorer d'ailleurs le développement démesuré du phénomène des assistantes maternelles et son adaptation aux conditions sociales et matérielles d'une bonne proportion de Tunisiens. Il n'empêche qu'il y a, d'autre part, de l'insatisfaction chez les parents quant à la qualité des prestations fournies dans certaines crèches. Laquelle situation les pousse à opter pour une assistante maternelle, même à des prix très élevés. On remarque, toutefois, que de plus en plus de professionnels essaient d'améliorer constamment les prestations fournies sur la base d'une approche scientifique.
. Et quel est le programme du ministère pour améliorer les conditions d'encadrement de la petite enfance ? - Le programme du ministère répond à un souci d'assurer la qualité dans l'encadrement du petit enfant. Il s'articule autour de trois axes assurant autant de types de formation d'encadreurs de la petite enfance. D'abord, il y aura des sessions de formation à l'intention des assistantes maternelles. Elles seront incessamment assurées en collaboration avec les écoles agrées du ministère de la Santé publique. Leur public cible est toute personne ayant à charge la petite enfance, dans une crèche, à domicile ou même dans un hôtel. Cette formation initie le candidat aux notions élémentaires de la prise en charge. Ensuite, une unité de valeur de puériculture a été déjà intégrée à la formation de l'institut supérieur des cadres de l'enfance à Dermech. C'est une formation semestrielle spécialisée. Enfin, et quoique ce n'est pas de la formation, mais elle y contribue, un programme de certification des crèches est en cours et il va contribuer inévitablement à améliorer la prise en charge de cette catégorie.
. Pensez-vous que ce programme de formation permettrait d'améliorer la situation du secteur informel ? - Oui, mais si on parvient à instaurer certaines conditions de confiance mutuelle. Les assistantes maternelles veulent apprendre et appliquer les bonnes méthodes mais, elles ont peur des retombées de leur apparition publique, notamment sur le plan de la fiscalité et de la sécurité sociale. Il faudrait donc trouver un arrangement institutionnel qui aiderait à régulariser ce passage de cette catégorie de l'informel au légal et qui améliorerait inévitablement le sort de la petite enfance. De toutes les façons, on est en train d'évoluer par l'institution de ces différents cursus de formation. Des réajustements peuvent être apportés en cours de route. Propos recueillis par M.S.
Du côté des parents Lamia, cadre : « La qualité manque terriblement à nos crèches » Le Temps : Qu'est-ce que vous reprochez aux services des crèches ? Mme Lamia : Au fait, une famille cherche auprès d'une institution ou d'une assistante maternelle, une prise en charge correcte en matière d'hygiène, de nutrition et de loisirs. L'institution est appelée à préserver la santé de l'enfant et à développer son éveil à la vie. De tels objectifs nécessitent, d'abord, de l'amour pour cette tâche. Mais, également, un minimum de connaissances et de respect des normes élémentaires d'hygiène et de nutrition chez le personnel. Or, ceci n'est pas le cas dans les trois crèches où j'ai mis mes enfants en deux ans. C'est lamentable ce qu'on constate. Il n'y a aucun sens de responsabilité. On te rend ton enfant avec les habits mouillés alors qu'il dispose de vêtements de rechange dans son sac.
. C'est peut-être une question de coût ? - Non, je persiste et je signe. C'est une question de conscience professionnelle. Le propriétaire d'une crèche est appelé à instaurer des normes et à les faire respecter par son personnel, comme ce fut le cas avec les crèches gérées par les « sœurs ». En l'absence de ces normes et de cet amour pour l'enfance, un tel projet ne saurait être que commercial, donc, voué à l'échec.