Mercredi 6 mai, la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, l'Association tunisienne des femmes démocrates, l'Association Beity et la Fédération internationale des droits de l'Homme ont organisé une conférence de presse intitulée « Non à l'atteinte à la liberté de culte et de conscience en Tunisie ». Cette rencontre fait suite aux déclarations de l'ancien ministre de l'Intérieur, Lotfi Brahem, qui justifiait la fermeture des cafés et des restaurants pendant le Ramadan en évoquant la circulaire Mzali de 1981, ainsi que l'article premier de la Constitution qui impose que l'on protège le sentiment religieux du peuple tunisien. Parmi les intervenants à la conférence de presse, la juriste Sana Ben Achour a été interviewée par La Presse. Nous retranscrivons ci-dessous les propos recueillis par Olfa Belhassine : Qu'est-ce qui vous a choquée dans les propos du ministre de l'Intérieur ? Ses propos sont très dangereux parce qu'on y lit une certaine instrumentalisation politique et idéologique des dispositions de la Constitution. C'est grave qu'un dirigeant politique avance une lecture sélective du texte constitutionnel. On ne peut pas aujourd'hui se référer à l'article 1er en ignorant ce que dit l'article 2 à propos de la Tunisie, un Etat civil, ni des articles concernant les libertés, dont la liberté de conscience, de croyance, de culte. Les articles ne se lisent pas indépendamment les uns des autres, tel qu'inscrit dans le texte constitutionnel lui-même (article 146). Je pense d'autre part que les régimes qui se sentent menacés dans leur existence et qui manquent de légitimité au niveau de leurs réalisations démocratiques convoquent tous les ressorts du religieux, parce que c'est là un terreau facile. En quoi est-ce que les déclarations du ministre sont en opposition avec le contenu de l'article 6 concernant le sacré et la liberté de conscience ? En fait, le ministre pense qu'il est de son obligation de protéger le sacré. Quel sacré protège-t-il en fermant les cafés ? Et puis qui lui a dit que les jeûneurs sont outrés par l'ouverture de tels établissements publics ? Qu'en est-il de la circulaire de 1981 sur laquelle s'appuient les autorités pendant le Ramadan pour fermer les cafés ? On a entendu dire au cours de cette conférence qu'elle n'est peut-être plus en vigueur... Justement, il y a toute une partie du droit qui reste non publiée et occulte, filtrant à coups de petites circulaires prises ici et là, dans l'opacité des administrations. En fait, personne n'a vu cette fameuse circulaire de 1981. Personne ne connaît son numéro. Donc aujourd'hui, nous demandons qu'elle soit publiée pour provoquer ce qu'on appelle « une décision implicite de rejet ». Ce qui nous permettra de demander au ministre de la retirer. Supposons qu'il refuse, on pourra recourir alors au Tribunal administratif en invoquant des questions de fond, entre autres qu'une circulaire ne peut pas mettre de limites aux libertés et qu'elle ne doit pas ajouter des normes à l'ordre juridique, notamment lorsqu'elle se révèle elle-même incohérente avec la Constitution du 27 janvier 2014.