La crise couvait depuis plusieurs jours, elle est désormais installée. Dans plusieurs villes du nord du Maroc, la rupture d'approvisionnement en méthadone, traitement clé dans la lutte contre la dépendance aux opioïdes, a provoqué une vague d'angoisse et de protestations parmi les patients et le personnel de santé. Dans les villes de Tanger, Tétouan, Al Hoceïma, Nador et Oujda, les centres d'addictologie sont en état d'alerte. Depuis le début du mois de mars 2025, les stocks se sont raréfiés, jusqu'à disparaître totalement, selon les témoignages recueillis. Jeudi, plusieurs rassemblements spontanés ont eu lieu devant les centres de soins, certains patients allant jusqu'à perdre connaissance, comme à Tétouan, où la Protection civile est intervenue. Une première rupture historique du traitement Le Dr Adnane Benazzouz, psychiatre clinicien à Tanger, a confirmé la situation à Yabiladi, précisant qu'il n'avait reçu aucune information officielle préalable. « C'est la première fois, dans mon expérience, que la méthadone est totalement absente du marché. » Introduit au Maroc il y a plus de dix ans, ce médicament est un substitut aux drogues dures, en particulier l'héroïne, et représente un outil fondamental de réduction des risques. Le Maroc a été le premier pays arabe à l'adopter à large échelle. Mais aujourd'hui, le sevrage brutal imposé aux patients, sans préparation ni alternative, menace la stabilité des malades et des structures. Des centaines de personnes en situation de vulnérabilité sociale se retrouvent confrontées à un risque élevé de rechute, de détresse psychique et de désinsertion. Des syndicats et ONG en alerte maximale La Fédération nationale de santé et le Syndicat national de la santé publique ont tiré la sonnette d'alarme. Dans un communiqué, ils évoquent une dégradation extrême des conditions de travail, notamment dans les centres de Bir Chifa (Tanger) et Tétouan, où le personnel est désormais confronté à des risques d'agression. Le syndicat recommande de réduire au strict minimum les activités de ces centres, tant que la méthadone reste introuvable, et appelle à une réponse urgente du ministère de tutelle. Cinq centres d'addictologie sont actuellement affectés dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, selon un bilan établi par les professionnels. Une circulaire qui aggrave la situation Pour tenter de gérer la pénurie, le ministère de la Santé aurait diffusé discrètement une circulaire imposant la réduction systématique des doses de méthadone pour tous les patients, y compris les personnes vivant avec le VIH, ou atteintes d'hépatite B, C ou de tuberculose. Cette décision, dénoncée par plusieurs ONG, dont l'Association de lutte contre le sida (ALCS), AHSUD, RdR Maroc et ITPC-MENA, a été appliquée sans consultation, ni même information des partenaires habituels. Beaucoup l'ont découverte via des affiches placardées aux centres de soins. Les organisations alertent sur les conséquences dramatiques d'une telle mesure : rechutes massives, douleurs physiques et psychologiques, et surtout rupture du lien thérapeutique, pourtant essentiel à la réinsertion des patients. Elles rappellent que la réduction des doses doit se faire avec le consentement éclairé du patient, conformément aux protocoles de l'OMS, et non dans l'urgence administrative. Un impact sur les objectifs de santé publique Cette pénurie met en péril le Programme national de lutte contre le VIH, auquel la méthadone contribue en limitant les pratiques à risque. Son interruption brutale pourrait compromettre les engagements du Maroc pour éradiquer le sida d'ici 2030, préviennent les ONG. En l'absence de communication officielle, l'inquiétude enfle. Pour les acteurs de la société civile, le silence des autorités ne fait qu'aggraver la méfiance et retarder les solutions concrètes à une crise qui aurait pu être anticipée. Que se passe-t-il en Tunisie? Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!