Fadhel Jaziri est décédé lundi 11 août 2025, à l'âge de 77 ans après un long combat contre la maladie. Le comédien, dramaturge, réalisateur et metteur en scène tunisien figure parmi les artistes qui ont marqué la scène culturelle et artistique. Fadhel Jaziri a laissé un précieux héritage artistique, fruit de plus de quatre décennies de contributions à la scène culturelle et artistique. Il a interprété des rôles dans plusieurs oeuvres cinématographiques et réalisé de nombreux films à l'instar de "Thalathun" (2007) et "Khousouf" (Eclipse) (2016). Son nom est profondément ancré dans la mémoire du public grâce à de nombreux spectacles musicaux marquants, notamment "Nouba" (1991), "el Hadhra", décliné en plusieurs versions au fil des années, ou encore "Mahfel", spectacle d'ouverture de la 57ème édition du Festival international de Carthage (FIC 2023). La date du 10 août 2025 a été marquée par la représentation exceptionnelle de "Au Violon", dernière création de feu Fadhel Jaziri. L'artiste tunisien a tiré sa révérence quelques heures après ce clap de fin scénique. Une dernière représentation offerte dans le cadre du festival Hammamet 2025, avant l'éternel voyage. Cette récente création prend les allures d'un couronnement, celui d'une carrière prolifique de plus de 50 ans consacrée au théâtre, au cinéma et à la musique. L'homme de théâtre, pionnier des arts en Tunisie et dans le monde arabe, signe une œuvre profonde, hybride, lyrique, qui fait échos chez les férues du théâtre depuis son avant-première phare aux Journées Théâtrales de Carthage (2024). Au fil des représentations, jusqu'à celle programmée au FIH, l'œuvre n'a cessé de muter. Jaziri a voué sa vie au 4ème art jusqu'au dernier souffle … avec ce dernier spectacle. « Au violon » mêle, théâtre et musique, acteurs et musiciens sur scène, afin de raconter un récit qui oscille entre l'intime et le public, le citoyen et la patrie. La création raconte l'histoire de la Tunisie, reflète un cheminement personnel, et prend la forme d'un testament bouleversant. Dans un décor épuré, Fadhel Jaziri a mis en scène dans "Au violon", un violoniste vieillissant, autrefois membre de l'orchestre national, qui se remémore les grandes heures de sa vie musicale, entre espoirs, désillusions et souvenirs fragmentés. Ce personnage fictif solaire, humain, devient le miroir d'une Tunisie en constante mutation, traversée par des bouleversements politiques, sociaux et artistiques. Ce saut dans le temps est grandement vécu par un luthiste et deux violonistes, dont l'un est l'époux d'une prétendue chanteuse célèbre. Musicalement, la création Au Violon de Fadhel Jaziri est dense : elle s'ouvre sur « Shahrazade » de Korsakov. Au fil des évènements, d'autres morceaux comme ceux d'Oum Kalthoum « Enta Omri » et un autre de Mohamed Abdelwaheb ou de Naâma, séduisent les plus mélomanes des spectateurs présents. Le personnage central de la pièce se remémore sa jeunesse et spécialement de ses années au conservatoire de musique de Tunis, autrefois dirigé par Ahmed Achour. « El Rachidia » occupe aussi ses souvenirs. Un hommage est rendu à un professeur tchèque qui lui a enseigné un morceau de Beethoven « Claire de Lune ». La nostalgie exprimée dans cette pièce prend vie sur scène dans une succession d'évènement marquants, de créations et de personnalités, qui ont fait et défait les 60 ans de la Tunisie : Mohamed Driss et son « Mourad III », Habib Boularès, Fredj Chouchane, Ridha Kalai, Zoubeir Turki et les chansons de l'égyptienne, Leila Mourad, le chanteur et compositeur italien, Adriano Celentano, les célébrités qui sont passées par la Coupole d'El Menzah, à l'instar d'Oum Kalthoum, Sabah, Abdel Halim Hafez... On évoque aussi la troupe de musique de la Radio Nationale sous la direction de Ben Algia, Sayed Chatta venu d'Egypte, le chanteur espagnol Julio Iglesias, Hédi Jouini, Hédi Guella etc. Sans oublier les succès du Nouveau Théâtre « Arab » et « El Awada ». Puis la guerre du Golfe, la destitution de Bourguiba et l'arrivée au pouvoir de Ben Ali. « Nouba », « El Hadhra », et pour finir, la révolution et son fameux « Dégage » à Ben Ali. La musique dans « Au Violon » alimente la mémoire collective avec comme fil conducteur une histoire attachante et une narration qui capte de bout en bout. Les interprètes sont Ichraq Matar, Slim Dhib, Ilyes Blagui, Mahdi Dhaker, Lotfi Safi et Ghaith Nafati. Cette dernière œuvre englobe tout ce qu'a créé l'artiste : accomplissements, œuvres diverses incontournables, projets. Le grand Fadhel Jaziri a évoqué toute une époque, celle dont il était le témoin. L'histoire, ses tournants et ses tourments y sont grandement étalés, avec une saisissante maîtrise. Créée contre contre l'oubli, "Au Violon" a la vocation d'une archive qui compile une vie monumentale, truffée de succès, de réussites, et totalement consacrée aux arts et à la culture. Son départ, qui a coïncidé avec sa représentation à l'amphithéâtre de Hammamet, résonne comme un dernier cadeau à un festival et à une scène qu'il chérissait particulièrement. Paix à son âme.