«La Hadhra» de Mohamed Fadhel Jaziri, dans une nouvelle reprise, célèbre l'arrivée du mois saint à travers deux représentations où l'on retrouve la virtuosité de la musique, la solennité des chants, la ferveur de la prière avec, en plus, la danse jusqu'à la transe. C'était jeudi et vendredi derniers, pour la première fois, à la nouvelle salle de l'Opéra à la Cité de la culture. Devant un public nombreux, «La Hadhra III» de Mohamed Fadhel Jaziri s'ouvrait sur un tableau captivant. Un jeu de lumière stroboscopique, des rythmes métissés et les sanjeks (drapeaux) colorés flamboyants au fond de la scène. Un chœur composé d'hommes et de femmes jeunes et moins jeunes, tous en costumes traditionnels ont donné le ton de la soirée. Imperméable au temps, l'incontournable, intarissable spectacle «El Hadhra» ne cesse, depuis sa création il y a près de vingt-huit ans, d'attirer un public jamais lassé pas les multiples reprises qui prennent à chaque fois les allures d'une récréation. C'est que le grand scénographe Fadhel Jaziri n'a pas cessé de rénover et de perfectionner ce spectacle de chants liturgiques, à chaque fois revisité sur les plans du fond et de la forme. Retranscrite dans le langage de notre époque, «El Hadhra» a su résister au temps et parvient à captiver les jeunes et les moins jeunes spectateurs. Alliant musique, à travers les chants soufis, et théâtre, grâce à une mise en scène centrée sur l'image, l'innovation a été faite du côté des instruments. «Nous avons intégré au spectacle tous les instruments possibles, et ce, dans le but de le faire évoluer musicalement en temps et en rythme mais, aussi, pour apporter à la musique locale une certaine mondialisation», c'était à quoi se résumaient les spécificités des toutes dernières reprises d'«El Hahdra» d'après El Jaziri. Tout en gardant la même composition, le spectacle a connu, cependant, des changements au niveau des textes avec de nouvelles productions et un nombre d'ajustements. Entre autres, de jeunes artistes de divers horizons ont été invités à rejoindre l'aventure et ont rehaussé de leur présence la chorale d'«El Hadhra», à l'instar de Haythem Hdhiri, chanteur d'opéra, Emna Jaziri qui faisait partie du trio de tête et Ali Jaziri au chant. Le spectacle a débuté avec une psalmodie de la Fatiha, façon Mosquée Zitouna. Suivie des airs soufis familiers sur fond de musique jazz et reggae, aux accents de chants qui ont fait vibrer le Théâtre de l'Opéra dont les qualités techniques et plus particulièrement l'acoustique ont répondu présent, amplifiant les plus infimes des vibrations vocales des chanteurs. Samir Rsaïssi, chef de chœur et d'orchestre, veille aux transitions de rythme, arbore son violon de temps à autre et chante, pour le bonheur d'une assistance déjà conquise, l'incontournable «Ya Belhassen Chedli». Au violon comme au chant, Samir Rsaïssi a séduit les spectateurs par sa belle prestation. Il en est de même pour le saxophoniste Samir Sghaïer. Son saxophone soyeux donne une touche jazzy très subtile aux sons des «bendirs» auxquels viennent s'ajouter la batterie, le violon et les cordes électriques faisant vibrer le silence et le fragmentent en échos, passion et grâce tissant un climat onirique et chaleureux. Cette musique ancrée dans le patrimoine musical traditionnel nous a été interprétée par des instruments contemporains. Outre les bendirs habituellement utilisés pour ce style de musique, la troupe a intégré le violon, la guitare électrique, la batterie, le saxophone et le piano. Il en résulte une prestation plus que surprenante, à la limite de l'envoûtement. Le chant était mis au point avec une telle clairvoyance que les œuvres choisies se faisant tour à tour témoignage de piété collective et de spiritisme lumineux. On découvre simplement un univers chambriste intime avec une vision moderne, poétique, artistique et tout aussi pieuse. Le public a bien apprécié les nombreux airs dédiés au Prophète Mohamed et les divers chants soufis imprégnés de mysticisme et de spiritisme profond. Les chanteurs, tour à tour, en solo ou en chœur, ont excellé dans l'interprétation des titres du programme composé de chansons soufies, d'invocations, ainsi que les inched puisés dans le répertoire arabo-tunisien, plus de vingt-cinq chants dont certains sont devenus de véritables tubes, à l'instar de «Jaret al achwaq», «Nadou lbabakom», «Belhassen», «Rayès labhar», etc. En mélange avec les notes suaves du clavier, la ferveur de la batterie, l'intensité de la guitare électrique et les notes énergiques des bendirs, naissait une musique métissée, riche, colorée et lumineuse.