Hakim est un chercheur génial qui a la solution à tous les problèmes de l'humanité, mais il vit dans un pays où la corruption et la bêtise empêchent toute amélioration de la vie. Ajoutez une touche d'humour et de lutte pour le leadership mondial et vous avez une idée du nouveau roman de Abdelaziz Belkhodja. Entretien avec l'auteur: Depuis "Le Retour de l'Éléphant", on n'a pas autant ri. A.B. : C'est vrai que "14 janvier l'enquête" n'est pas particulièrement tordant. "La Femme en Noir" non plus. En fait, avec l'essoufflement de l'espoir révolutionnaire, c'est la moquerie qui est revenue, cette moquerie qui n'avait plus cours avec la révolution, quand on se prenait pour une grande nation. Le Retour de l'Éléphant était prérévolutionnaire ? Oui, il finissait clairement avec un appel à la révolte contre le régime. BakchicheLand annonce-t-il la fin de la révolution ? J'espère que non. Beaucoup ne le réalisent pas, mais ce n'est pas la Révolution qui a mis le pays au bord du gouffre, mais les responsables politiques. D'ailleurs, nous pouvons faire de la politique fiction : qui sait ce qui serait advenu de la Tunisie si Ben Ali était resté ? Qui aurait pris le pouvoir et sur quelle base ? J'ai l'intime conviction que ça aurait été pire. La démocratie est loin d'être un bon système, mais c'est le moins mauvais. Revenons à BakchicheLand BakchicheLand est issu d'un scénario. Le metteur en scène voulait une histoire avec un singe. Un singe, c'est très inspirant. Après tout, entre nous et les ouistitis, il n'y a qu'un chromosome qui diffère, et pas toujours... Où en est le film ? Dans les couloirs du temps et du ministère de la Culture … On reconnait plusieurs personnages rééls... Oui, ceux de l'ancien régime et beaucoup d'autres issus de l'après révolution. Le trait est grossi, il s'agit d'une parabole, d'un livre satirique contre ceux qui ont creusé le lit de la dictature, ce régime scélérat qui a profondément détruit notre pays. Cependant, dans un chapitre qui se passe dans la cave du Palais de Carthage, vous traitez différemment Bourguiba qui était, lui aussi un dictateur. La photographie, sortie après la révolution, de la cave du Palais de Carthage où étaient entreposés les tableaux de Bourguiba m'avait fasciné. J'ai évoqué la cave dans BakchicheLand. Bourguiba était en effet un dictateur, il l'assumait, disait que le temps de la démocratie n'était pas venu. Entre nous, il n'avait pas complètement tort. Je pense quand même qu'il aurait pu initier la démocratie, ou au moins quitter le pouvoir plus tôt. Mais la vieillesse est un naufrage. Cependant, il a posé les balises d'un État basé sur l'éducation et le développement. Même si plusieurs erreurs ont été commises, la Tunisie est sortie du marasme, elle a formé des élites formidables, elle reste un pays avec un énorme potentiel. Ben Ali, lui, n'avait pas de projet et il avait des tendances mafieuses. Il avait aussi des qualités. Lesquelles? Il était organisé, il savait choisir ses ministres et il ne jouait pas, comme ça se fait aujourd'hui, avec la souveraineté nationale. Il avait aussi le souci de l'environnement, ce qui est aujourd'hui un vieux souvenir. Revenons à BakchicheLand. On y est, en plein, BakchicheLand évoque en profondeur, même si c'est avec humour et plaisanterie, nos problèmes. C'est un roman à plusieurs degrés, un peu comme le Retour de l'Éléphant. Pensez-vous qu'il aura le même succès ? Je l'espère, mais le succès d'un livre est quelque chose d'aléatoire. Chaque livre est différent et chaque lecteur aussi. Pire encore, un livre, comme le lecteur, évolue, il peut connaître un énorme succès puis tomber dans l'oubli, ou ne pas être remarqué puis avoir un grand succès, c'est une question de chance, d'époque, de conjoncture, etc. L'essentiel est peut-être, comme le disait mon père, le respect de soi. Et ça passe par le fait de laisser quelque chose qui puisse servir. Vous pensez que vous avez laissé quelque chose ? Tout être humain laisse quelque chose. Personnellement, j'ai énormément profité des livres que d'autres ont écrit. J'espère que d'autres profiteront de mes écrits. En fait, c'est de simple transmission d'idées qu'il s'agit, c'est vieux comme le monde, l'essentiel est de ne pas transmettre n'importe quoi. Me concernant, j'ai tenté de me battre contre l'oubli et la désinformation car ce sont les deux mamelles de l'ignorance. Je suis loin d'avoir réussi, mais comme le disait Hugo, le grain de poussière doit s'opposer à la chute du rocher.