Depuis son indépendance, pratiquement tous les bâtiments et ouvrages publics ont été pensés, conçus par des architectes et des ingénieurs tunisiens, construits pas des entreprises tunisiennes avec des matériaux en majorité tunisiens: résidentiel, bureautique, souveraineté, hôpitaux, hôtels, ponts, viaducs,... C'est d'ailleurs toujours une fierté que de l'affirmer haut et fort quand on visite divers pays de notre continent. Le secteur du bâtiment et de l'immobilier en Tunisie, présente 10% du PIB et près de 600.000 emplois directs.
Le savoir faire tunisien en la matière n'est plus à démontrer dans notre continent il y'est d'ailleurs largement reconnu. Nombreux sont maintenant les architectes, ingénieurs, bureaux d'études entreprises BTP et meme matériaux tunisiens qui s'exportent et confirment notre maîtrise technique et expérience acquise dans la construction de notre propre pays.
Jusqu'a la revolution la part du marché des entreprises étrangères dans la construction ne dépassait pas les 5%, elle est maintenant de 30% et tend à augmenter sensiblement. Malheureusement c'est l'état qui en est totalement responsable. Il tend à encourager l'installation d'entreprises étrangères avec des mesures existantes d'incitations douanières, fiscales et sociales dont ne bénéficient pas les tunisiennes. Même l'égalité des chances devant la loi n'est pas assurée.
Ce qu'il faut savoir, sauf rares exceptions, la quasi totalité de ces entreprises étrangères ne s'installent pas concrètement dans le pays. Elle constituent simplement un relais aux investisseurs étrangers et surtout une fuite avérée de devises dont le pays a grandement besoin. Elle s'installent en s'appuyant sur les entreprises tunisiennes devenus simples sous traitantes. L'apport technologique est donc quasiment nul.
Supreme humiliation, l'état accepte maintenant que des investisseurs privés fassent appel directement et exclusivement à des entreprises étrangères avec des consultations rejetant clairement et ouvertement la participations des tunisiennes sous le faux prétexte d'un manque de moyens ou d'expérience, alors que les projets concernés, sont largement à la portée. Malgré les vives protestations de la chambre des BTP relevant de l'UTICA, un ensemble touristique a Gammarth sera d'ailleurs vraisemblablement réalisé uniquement et exclusivement par une entreprise étrangère.
Plus grave encore, sur la base de mesures controversées datant de 2017, l'Etat pousse à opter de plus en plus pour la formule conception réalisation soit en contournant la maîtrise d'œuvre tunisienne (Architectes, Ingenieurs, bureaux d'études) , soit en la plaçant sous tutelle des entreprises. Il est vrai que cette méthode est utilisée dans nombreux pays surtout anglo-saxons, mais ils bénéficient aussi de batteries de mesures législatives et techniques très précises qui protègent l'autonomie totale de la maîtrise d'œuvre vis à vis de l'entreprise, ce qui n'est pas du tout le cas dans notre pays dont la réglementation actuelle est au contraire totalement défavorable. La conception réalisation si elle n'est pas encadrée par des mesures adéquates, n'est en aucun cas dans l'intérêt du projet, les architectes et ingénieurs perdent leur statut de maîtres d'œuvre et ne peuvent plus assurer ni le bon déroulement du chantier, ni la qualité de l'exécution, ni même la bonne gestion des budgets... Imaginez alors, quand c'est une entreprise étrangère qui s'offre le marché et de surcroît pour un bâtiment de souveraineté comme c'est le cas de l'académie de police d'Enfidha...
L'OACA (l'office de l'aviation civile et des aéroports) persiste à sortir un appel d'offre international dans la formule conception réalisation en prétextant le manque de savoir faire ou d'expérience des concepteurs tunisiens. Ceux ci ne sont pas du tout hostile à un partenariat ou l'apport de consultants spécialisés, même s'ils sont sûrement capables de maîtriser tout type de projet, mais ils ne peuvent se permettre de se placer sous tutelle de l'entreprise et risquer au projet des abus techniques et budgétaires qu'ils ne peuvent plus maitriser au détriment des deniers publics. Ce sera toujours le contribuable ( C'est à dire nous tous) qui en paiera le prix...
Pour éviter de tels dépassements, le conseil de l'ordre des architectes devra faire partie de droit de l'instance supérieure des marché publics et dire son mot pour tous les marchés qui concernent le secteur de la construction. Les Architectes Tunisiens refusent que la construction en Tunisie soit mise sous tutelle étrangère et refusent que les entreprises tunisiennes, dont ils sont partenaire, soient lésés ou laissés pour compte. Ils refusent aussi qu'ils soient eux même placés sous la formule de la conception réalisation, donc sous tutelle de l'entreprise jusqu'à ce que toutes les mesures législatives nécessaires et suffisantes soient prises pour assurer leur statut de maître d'œuvre. Les architectes qui se placent d'ailleurs volontairement et en connaissance de cause, sous tutelle de l'entreprise, risquent des sanctions disciplinaires. Les architectes useront de tous les moyens légaux en leur possession pour défendre la loi et les intérêts du pays, quitte à le décider dans l'urgence collectivement en assemblée générale extraordinaire. Les architectes tunisiens sont les principaux garants de la bonne gestion du secteur du bâtiment en Tunisie. Les architectes tunisiens doivent être écoutés.
Sahby Gorgi Président du Conseil de l'Ordre des Architectes de Tunisie