Drôle d'histoire, celle des noms de certains des partis politiques dans notre pays ! Avec le remue-ménage qui semble chambouler notre paysage politique, au nom d'un difficile apprentissage de la démocratie, il y a lieu de s'interroger d'abord sur le degré d'adhésion des partis politiques à la charge significative des noms qu'ils se sont choisis, avant même de se demander (ou qu'ils se demandent eux-mêmes) s'ils respectent vraiment les principes et les valeurs sous-jacents à ce capital sémantique originel. Comme le nombre de ces partis est de nature à nécessiter une encyclopédie pour l'analyse du lexique de leurs dénominations respectives, je me contenterai ici de voir du côté des trois partis au pouvoir, après les élections d'octobre 2011, ceux de la troïka, en l'occurrence Ennahdha, Ettakattol et le CPR. Commençons par souligner que le mot « troïka », lui-même, suppose une partition équitable et équilibrée du pouvoir. Or celui-ci mis en marche, nous n'avons pas tardé à constater, et chaque jour davantage, combien le principe troïkiste a été tronqué par nos dirigeants, trop appliqués sans doute à ne pas contrer ce modèle historique dans la logique de son aboutissement et sa conclusion au dérapage caractérisé. Bref, passons au mouvement Ennahdha, littéralement « Renaissance ». L'Histoire universelle nous a appris qu'on ne renaît jamais de façon identique, car le retour du même est impossible. Seul le retour du semblable est possible, il est même dans la nature des choses. Or, à un moment de son action, qui n'est pas totalement dépassé, au moins dans la conscience profonde des intéressés, Ennahdha a voulu reproduire de façon identique un modèle sociétal dépassé de plusieurs siècles. Certains de ses dirigeants ont compris l'inéluctable effet de l'Histoire et cherchent à se mettre en situation, d'autres, même s'ils disent le contraire, demeurent profondément fixés sur cette image lointaine qui colle mal au nouveau décor. Ces derniers sont encore beaucoup trop puissants pour les premiers, surtout qu'ils sont en connivence, franche ou tacite, avec des courants de même obédience. Mais logiquement, avec le temps, c'est la Nahdha historique, et non la mythique Ennahdha, qui a le plus de chance de se maintenir, parce qu'elle est en symbiose avec l'Histoire et qu'elle n'est pas un éternel recommencement : elle en est juste le semblant. De son côté, Ettakattol, qui signifie à la fois (s'allier contre) et (comploter), a commencé sa participation au gouvernement sur une note de complot, aboutissant à un mouvement de mésalliance dans ses rangs, qui a failli le réduire à une coquille vide. En effet, tournant le dos au sens même du mot « forum », dans sa dénomination française, en tant qu'espace public, ouvert, d'échange et de communication, il s'est contenté de l'idée de spectacle pour privatiser au plus étroit le cercle de décision, s'attirant ainsi la colère de bon nombre des siens qui n'ont eu d'autre choix que de claquer la porte, en attendant des jours meilleurs, ou pour aller chercher ailleurs. Heureusement pour lui, grâce à un tragique résultat de sa complicité mal calculée, il semble reprendre conscience de son vrai rôle, en conformité avec ses principes de base et avec l'ambition de mériter son nom de nouveau. Pourvu que d'autres intérêts et d'autres strabismes dans la perception de la chose publique ne viennent pas le détourner de cette tâche de redressement du parcours. Reste le CPR ! Il faut dire qu'il y avait dans sa dénomination une volonté délibérée de se détourner de l'Histoire : en effet, y a-t-il quelqu'un d'un tant soit peu raisonnable pour venir, après un demi-siècle d'Histoire républicaine confirmée, nier à la Tunisie sa nature républicaine, car c'est avec cette intention que M. Marzouki disait fonder son parti ? La République, telle qu'elle puisse être, est le produit des citoyens avant d'être l'apanage d'un dirigeant politique aussi génial ou fantasque qu'il soit. Quant au mot « congrès », il rejoint en gros l'idée de « forum » portée par le parti Ettakattol. Sans doute y a-t-il là une raison objective de leur association dans la première alliance gouvernementale avec Ennahdha. En effet, les deux partis, de par cette dénomination similaire, se concevaient à l'origine comme une alliance d'intellectuels en manque de discussion, et non comme des mouvements vers la foule immense, la masse populaire qui constitue la base et l'objectif d'un vrai parti politique, sans que ce dernier puisse se passer de l'apport des intellectuels et des hommes de culture. Finalement, à la première épreuve importante de son exercice du pouvoir, le CPR a fini par éclater en toutes pièces du fait même du montage truqué de sa structure de base. Le voilà donc aux abois, devant le spectacle insoutenable de tous les membres de son corps mutilé, chacun essayant de retrouver une vie autonome, dans son propre sang qu'il prend pour le sang d'un autre. Drôle d'histoire, celle du CPR que le génie de nos concitoyens a redéfini à sa manière sur les réseaux sociaux : « CPR = C'est Pour Rire » !