Pour un discours culturellement correct et politiquement correct, l'identité du Tunisien se réduit à une seule dimension arabo-musulmane. Pour un autre discours qui se développe petit à petit mineur dans l'espace public, l'identité du Tunisien est plurielle ou elle ne peut pas être. Pour les partisans de ce dernier discours, l'unicité et la totalité ne sont que l'expression d'une volonté hégémonique de la majorité sur les minorités. Et donc, négatrice du Divers constitutif de l'ensemble des communautés ethniques et culturelles dont se compose la texture identitaire du Tunisien. C'est au cœur de ce débat qu'il faut situer les objectifs louables de l'Association Tunisienne de Soutien des Minorités. Trois grands objectifs peuvent être retenus pour montrer l'ancrage politique et culturel de la diversité de l'identité du Tunisien. Il s'agit de «défendre par les moyens autorisés par la loi les droits légitimes des minorités», de «développer et enraciner les valeurs de la diversité dans la société afin que l'existence et l'apport de ces groupes sociaux soient reconnus par la société» et de «défendre les minorités des différents types religieux, culturel, ethnique, sexuelle, physique, social». La question de l'identité est centrale. Le pire pour les minorités religieuses (les chrétiens, les juifs) ou ethniques (les berbères, les noirs) ou sexuelles est de n'avoir aucune identité positive, d'être sans cesse définies par la communauté majoritaire. La commémoration, le 14 décembre courant, de la déportation de cinq mille tunisiens juifs entre 1942 et 1943 durant la seconde guerre mondiale par l'Association Tunisienne de Soutien des Minorités s'inscrit dans une démarche de pensée intempestive qui vise à mettre en valeur une dimension méconnue mais importante de l'histoire de la Tunisie au 20ème siècle. L'objectif de cette rencontre scientifique est triple. D'abord, il s'agit de faire sortir de l'oubli les Tunisiens juifs victimes de la déportation nazie. Ensuite, il s'agit de mettre en valeur le rôle des Tunisiens musulmans qui ont sauvé des compatriotes juifs en les cachant chez eux. Enfin, il s'agit d'empêcher l'amnésie et de promouvoir et défendre les droits de tous les Tunisiens quelle que soit leur appartenance religieuse. Loin de tout amalgame non fondé entre le Juif et le sioniste, cette rencontre organisée par l'Association Tunisienne de Soutien des Minorités est de nature à jeter des ponts et des passerelles pour établir un dialogue serein entre les chercheurs et historiens sur un évènement qui a coûté la vie des milliers de Tunisiens juifs. Et donc, pour porter encore plus loin le message d'une Tunisie plurielle et ouverte. Ce type d'action associative ne doit certainement pas plaire aux tenants de la spécificité absolue, de la pureté identitaire. Dommage que les médias tunisiens n'aient pas accordé à cet évènement de mémorisation l'intérêt qu'il faut. Le rôle des chercheurs tunisiens (historiens et sociologues notamment) qui s'intéressent à l'histoire de la Tunisie contemporaine peuvent creuser dans ce sens et de mettre à jour des questions considérées jusque-là comme un sujet tabou. C'est comme ça qu'on cultivera la mémoire vive du Tunisien. Loin de l'idéologie de la Umma. Loin de tout holisme. Et dans la perspective de l'épanouissement de toutes les singularités créatrices.