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La bombe de l'anti-racisme
OPinions - Du fantasme d'une «Tunisie tolérante» à la transition démocratique :
Publié dans La Presse de Tunisie le 19 - 06 - 2012


Par Stéphanie Pouessel *
Du 2011 tunisien découle une représentation de la nation et de ses différentes expressions minoritaires linguistiques, de couleur ou de religion-, en grande mutation. La question des «minorités» apparait comme une des lames de fond qui bouscule aujourd'hui le «monolithisme culturel» officiel. Quand, dans le même temps, le régime de l'ancien dirigeant tendait à diffuser l'image d'une Tunisie tolérante, carrefour de civilisations et de religions, une réalité plus conflictuelle était étouffée. Elle explose aujourd'hui de la part d'un groupe qui récuse son invisibilité, les Noirs tunisiens.
Mais peut-on évoquer une «minorité noire» en Tunisie ou ailleurs dans le Maghreb ? Si une minorité se définit à travers des traits culturels spécifiques comme la langue ou la religion, la couleur de la peau peut-elle faire office de distinction ? Elle est pour un groupe de Tunisiens le signe d'un stigmate ancestral qu'il s'agit enfin d'exorciser. L'évocation publique d'un groupe marginalisé n'aurait pas été possible avant le 14 janvier 2011, tant le régime verrouillait, même inconsciemment, toute idée de critique sociale. La question de la couleur de la peau et la marginalisation avait bien été lancée par des chercheurs historiens, mais cantonnée dans une reconnaissance de la traite transsaharienne (la «déclaration de Tozeur», 2009). Le petit écran lui aussi avait crevé l'abcès à sa manière en mettant en scène un «couple mixte» (Blanc/Noire- feuilleton Mektoub, 2008) dénonçant par là davantage des mœurs qu'un problème politique.
La difficulté à ouvrir ce débat et les réticences qu'il engendre est aussi liée à l'histoire nationale qui s'est construite sur l'unité du peuple face au colonisateur. Postuler des traitements différentiels des citoyens renvoie à une attaque directe à l'unité nationale et donc au fondement, à la légitimité même de la nation. Dans le même temps, on renvoie les phénomènes de racisme aux sociétés du Nord, vers laquelle on émigre, l'ancien eldorado qui «accueille» et «rejette» la différence culturelle et religieuse.
Pourtant la Tunisie, comme l'ensemble du Maghreb, a sa place dans le parcours des mobilités, par exemple interafricaines. Le pays reçoit principalement des étudiants en écoles privées et des fonctionnaires de la Banque Africaine de Développement. En tant qu'incarnation d'une altérité à «accepter», voire de cibles de rejet sans préavis, c'est aussi à travers eux que le débat sur le racisme a été propulsé. Plaintes de la Banque Africaine, témoignages dans les journaux, leur vécu douloureux a pu servir de canal, bien que les causes et les expressions soient différentes, aux Noirs tunisiens.
«Citoyenneté partielle»
Ainsi, des citoyens de plus en plus nombreux entendent défendre les «minorités» face aux préjugés de couleur qui enserrent les Subsahariens ou les Tunisiens noirs, alors dénoncés dans des tribunes de journaux et inspirateurs de créations culturelles (cinéma, photographie, théâtre, etc.).
En avril 2011, une universitaire tunisienne, Maha Abdelhamid, créa un forum de discussion sur Facebook intitulé «Assurance de la citoyenneté sans discrimination de couleur». Il entend traiter de la «citoyenneté partielle» des Noirs en Tunisie. Très vite quelques centaines de personnes susceptibles d'être intéressées sont ajoutées à ce groupe (qui réunit toutes les catégories sociales et professionnelles, toutes les origines régionales en Tunisie, des Tunisiens de l'étranger, des Africains et des Européens). Une vingtaine de membres interagit quotidiennement à travers des discussions à partir d'un partage de documents (articles de journaux, photos, etc.). Véritable laboratoire d'une question jamais évoquée officiellement, les langues se délient et la souffrance s'exprime. Les requêtes de certains membres s'attachent à la création d'un texte constitutionnel et de sanctions pénales contre la discrimination, la réparation de l'esclavage, l'exhumation de l'histoire de la traite transsaharienne, etc. L'idée d'une association civile nait mais ne se sera concrétisée que quelques mois plus tard. Parmi les personnes les plus actives, l'on retrouve des Tunisiens originaires des régions du Sud où se concentre une population noire (Gabès, Kébili, Zarzis, Djerba) mais aussi de Sfax et de Tunis. Des réunions hebdomadaires jalonnent la mise en place des bases de l'association, ses objectifs et sa stratégie. Adam naît en avril 2012, dont le sigle entend traiter de «développement» et d'«égalité» plutôt que de «Noir» ou de «racisme».
Association Adam
Le 12 juin 2012, au cœur du centre-ville de Tunis, dans la maison de la culture Ibn Khaldoun, public et journalistes étaient présents pour le séminaire d'ouverture de l'association Adam. Le président de l'association, Taoufik Chaïri récuse toute démarche communautariste et insiste sur le côté culturel, historique et éducatif de l'association. Il affirme soulever un sujet tabou, emboîtant le pas de la révolution de la dignité dont tous les Tunisiens méritent d'en cueillir les fruits. L'intervention du bâtonnier des avocats, Chaouki Tabib, a souligné la persistance de la discrimination (tamyyz) et de la différentiation (tafriqa) au sein de la société tunisienne, «on est encore racistes», malgré la fierté tunisienne d'avoir été le premier pays arabe à abolir l'esclavage. Il appelle à la création d'un comité de défense des attaques à caractère racial. Des témoignages de chercheurs ont décrit un racisme tunisien jamais institué historiquement produisant des pratiques de ségrégation non assumées dans le discours (l'historien Abdelhamid Larguèche) et une «revanche symbolique» (th'ar ramzi) dans les frontières symboliques entre Noirs et Blancs dans les oasis du Sud comme Menschia (le sociologue Mohamed Jouili). Dans la salle, un public d'une centaine de personnes, issu essentiellement de cette « minorité silencieuse » (Larguèche), s'empresse pour prendre la parole, rendant hommage à cette initiative ou avouant ne pas supporter cette appellation de «Noirs» en Tunisie. Une intervenante soulève la question des noms de certaines familles qui signifient l'affranchissement et le nom de l'ancien maître (‘atiq foulen) et la nécessité de rectifier ces appellations honteuses et humiliantes pour beaucoup de Noirs.
Discrimination positive
Face à la dénonciation grandissante de l'absence de personnes noires dans le paysage médiatique ou politique, le gouvernement évoque la mise en place d'une politique de discrimination positive. Alors que jusque-là la question des «minorités» en Tunisie était cantonnée aux minorités religieuses, essentiellement juive, le ministre chargé de la Réforme administrative annonce son projet de nommer des «citoyens de couleur» dans les hautes fonctions (4 juin 2012). Les minorités religieuses sont encore à l'ordre du jour quand la question de sièges parlementaires réservés à des Tunisiens juifs et chrétiens est soulevée par la députée CPR Samia Hamouda Habbou. L'association « minorités » (Aqaliyat) s'invite au débat en demandant l'annulation du critère religieux pour les élections présidentielles, permettant aux Juifs de se présenter (Yamina Thabet, Mosaïque FM, 11.06.12).
Dans le contexte politique tunisien actuel où une frange d'artistes, intellectuels, universitaires, etc. s'attaquent de plein fouet au gouvernement islamiste jugé rétrograde, liberticide et anti-démocratique, la dénonciation politique du racisme se voit instrumentalisée par certains comme une critique envers ce gouvernement. Une vidéo a en effet fait le buzz sur Internet (w.e du 10 juin) qui, à travers un montage, mettait face à face Rached Ghannouchi évoquant la couleur de la peau des Africains « plus noirs que nous » et une militante de Adam qui dénonçait le racisme de la société tunisienne. Bien que ce montage ait plu à certains militants anti-racistes, il en a gêné d'autre, conscients du message politique d'opposition islamiste que l'on veut faire porter à la «question noire». Le parti Ennahda lui-même, dont les principaux cadres ont passé parfois 20 ans en exil dans des pays exposés aux questions de la «diversité culturelle» (France ou au Royaume-Uni), avait demandé rectification au journal en online Tunisialive suite à l'affiliation islamiste d'une avocate impliquée dans une affaire de caricature raciste. De plus, le seul Tunisien noir qui siège à l'Assemblée constituante n'est autre qu'un membre d'Ennahdha, Bachir Chammam, qui déclara dans une interview que sa foi musulmane lui a permis de dépasser des petits incidents reliés à sa couleur de peau (Tunisialive, 21.03.12, par Houda Mzioudet).
Sous le feu des projecteurs du monde arabe et du monde entier, la Tunisie comme modèle d'une transition démocratique possible, ouvre une réflexion civile sur des « tabous » de la société - l'identité, les minorités (berbère, juive et noire) et un racisme « inconscient »- alors mis sur le devant de la scène dans l'objectif d'être combattu.
* (Anthropologue, chercheure à l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, Tunis)


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