Franchement, je ne sais plus, comme je l'ai souligné auparavant, si notre paysage politique n'est pas en train de tourner au fait divers et si celui-ci n'est pas en passe de meubler l'essentiel du spectacle politique tunisien. C'est à vous ôter toute envie de continuer à gloser de politique ; mais une certaine conscience vous secoue à chaque fois pour dire : « Attention, il ne faut pas lâcher car c'est ce qu'on attend de vous et de vos semblables ! » Tiens ! La dernière : une députée venue exhiber son accouchement en se présentant avec son bébé dans l'enceinte de l'assemblée nationale constituante ! Pourquoi pas ? Il faudra peut-être penser à un article de la constitution gratifiant ce bébé d'un droit d'héritage sur le Palais du Bardo ! Imaginez une institutrice, par exemple, prenant son bébé avec elle et lui aménageant une bonne place, en avant ou en arrière de la classe, et s'appliquant par la suite à conduire sa leçon dans la concentration requise ! Pourquoi pas la même chose pour la femme-juge, la femme médecin, la femme-pilote, etc. Allons, mesdames, une femme responsable est celle qui sait faire la part des choses. Au passage, rappelons qu'il en est de même pour un homme responsable (qui peut ne pas être un responsable, sans se départir de sa responsabilité de citoyen). Il paraît aussi qu'un prétendant à la présidence du gouvernement de la dernière étape de transition ne réussit pas à décolérer de se sentir piégé par ses amis qui, opportunisme politique ou raison d'Etat oblige, ont dû renoncer à défendre sa cause, tellement elle était rationnellement indéfendable. Le plus beau, c'est que le candidat déçu, se présentait comme un vrai indépendant, rationaliste et tout le blabla de circonstance, s'entêtant à rester en course tout en se sachant à l'arrière du peloton, au moment même où une déclaration de retrait volontaire lui aurait apporté en respect et en crédibilité ce que même la présidence de la république ne lui aurait donné en termes d'ambition personnelle et de volonté obstinée du pouvoir. Au contraire, le Monsieur aurait même acheté les tapis avant de construire sa mosquée, comme dit le proverbe de chez nous : il se serait attelé déjà à composer son gouvernement, malgré tous les indicateurs en rouge qui clignotaient devant ses yeux. Ah ! La présidence ! Parlons-en ! On a donc eu droit à sa dernière acrobatie dans la farce intitulée « Le Livre noir ». Au passage, comme une parenthèse puisque tout chez nous aujourd'hui est entre parenthèses, je me demande pourquoi des intellectuels, cités dans ce « torchon », se sentent obligés de se défendre de toute connivence ou de toute intelligence avec l'ancien régime. C'est vraiment à éveiller des soupçons ! Si ce livre cite tous ceux qui de près ou de loin ont fait quelques pas ou un long chemin avec l'ancien régime, c'est normal que tout le monde ou presque s'y retrouve, même ceux qui n'y sont pas nommés pour une raison ou pour une autre. Et puis, se défendre devant qui ? Les auteurs du livre noir qui ont perdu toute crédibilité ou devant un peuple qui n'est plus disposé à leur en donner ? C'est vraiment à éveiller des soupçons ! Mais passons. Voilà donc une présidence qui prend l'initiative de tout ce qui est contraire à sa fonction et à sa mission, comme si elle n'avait d'autre intention que de fomenter la dissension entre Tunisiens et de cultiver un champ d'animosité à même de préparer le terrain à une violence annoncée comme un vif souhait pour certains. Il faut reconnaître qu'à établir le lien de cette démarche avec la politique d'exclusion revancharde prônée par le parti du président, on ne peut que conclure à la cohérence de la bande ! Voilà une présidence qui se met à intenter des procès contre des personnes, des instances et des institutions pour diffamation et déclarations mensongères parce que celles-ci ont mis à nu toute la manigance qui a présidé à la « fuite » du Livre noir. Ce serait sa manière à elle de riposter à tous les procès qui sont entés contre elle à cause du même livre. Pourtant, le jeu est désormais clair et il faut être trop naïf ou peu versé dans l'analyse des faits pour ne pas comprendre que le Livre noir a été stratégiquement négocié au sein de la troïka pour des objectifs amplement atteints, l'opposition et la société civile aidant, par ignorance, par semblant d'ignorance ou par autre manigance. C'est vrai ! L'opposition ! Elle aussi va peut-être se vanter de toutes ses victoires et, à l'image d'un célèbre chef d'opposition supposé irréductible, elle aurait forcé Ennahdha à corriger certaines de ses positions et à plier sous le vent de l'opposition. Ce qu'on oublie de souligner, cependant, c'est que, jusqu'à présent, Ennahdha plie et ne rompt pas parce qu'elle a toujours présenté ses propositions avec un grand au-delà d'exigences de façon à obtenir toujours le seuil d'acquis en-dessous duquel elle ne pouvait ni ne voulait descendre. Tout ce qu'Ennahdha a concédé à la négociation était cessible à l'avance. Mais cela n'a jamais été le cas pour l'opposition, trop divisée et trop remplie de fatuité pour rassembler toutes ses potentialités en faveur d'un projet démocratique cohérent et fédérateur. La politique en Tunisie est désormais réduite à une course entre les studios des radios et des télévisions, se réduisant au statut de fait divers ou de programmation divertissante (qui peut avoir l'effet contraire) par une inflation de son discours qui sonne comme un disque rayé. Ce serait dommage, pour un pays qui a tout le potentiel requis à même de lui permettre de se renouveler dans la capitalisation des acquis et la rectification des erreurs d'appréciation et des dérapages personnalisés, de rater la chance historique qui lui est donnée d'édifier une seconde république, moderne, démocratique, solidaire et humaniste ! Le pire dans tout cela, c'est que ce sont les défenseurs classiques de ces valeurs qui auraient dû s'atteler à écrire Le Livre rouge de la nouvelle Tunisie, sans aucune connotation politique de la couleur à part celles du drapeau tunisien, et qui aujourd'hui semblent bloquer ce projet.