«Le jour où nos esprits se dégageront de la prison des traditions et pourront librement juger notre passé et notre présent dans l'intérêt de notre avenir ce jour-là engendrera l'action qui fertilisera notre avenir», écrivait le grand Tahar Haddad en 1933. Vue du côté des femmes, la prison des traditions est l'ensemble des systèmes archaïques qui structurent les rapports humains dont les rapports hiérarchisés des sexes. A l'aube de l'indépendance, l'Eta national a donné le ton et s'est engagé sur la voie de la libération des femmes du joug des archaïsmes en vue de libérer le potentiel d'imagination et de création dont les femmes sont porteuses. Le courage de la volonté politique de l'époque a été de ne concéder rien au politiquement correct de la spécificité culturelle-religieuse. En conséquence, la Tunisie s'est inscrite dans un processus irréversible qui est celui de la modernité qui donne à la femme un droit égal à celui de l'homme, excepté celui relatif à l'héritage. Et du coup, les femmes ont conquis leur statut de sujet de l'histoire. Ce processus a culminé par la scolarisation des filles et par le droit à la contraception et à la gestion de tout ce qui relève de la maternité concédé aux femmes dans les années 1960. Depuis, l'épopée de la modernité au féminin n'a cessé d'accumuler les acquis au profit des femmes et de la société. Après de courtes parenthèses ouvertes par un discours politicien et dogmatique concernant le statut des femmes dans la configuration politique et sociétale de la Tunisie de l'après 14 janvier 2001, les Tunisiens ont su retrouver, grâce à la combativité des femmes et de la société civile, la voie de la sagesse en choisissant d'inscrire dans le projet de Constitution les droits des femmes. L'article 45 énonce que «l'Etat garantit la protection des droits de la femme et soutient ses acquis», qu'il «œuvre à promouvoir et à développer ses acquis», qu'il «garantit l'égalité des chances entre la femme et l'homme dans les différents postes de responsabilité», qu'il «œuvre à consacrer le principe de parité homme-femme dans les conseils élus » et qu'il «prend les mesures nécessaires afin d'éradiquer la violence à l'égard de la femme». C'est là quelques grandes lignes sous-jacentes à un projet sociétal porteur des valeurs d'égalité, de liberté et de justice sociale. Cet article est à mettre à l'actif de l'Assemblée nationale constituante qui a choisi de prendre le train de la modernité et de renforcer le processus d'émancipation des femmes et de la société, sur la base des acquis déjà accumulés par l'Etat national. C'est un signe fort envoyé à tous ceux qui rêvent de réhabiliter un modèle de société moyenâgeux brutal et autoritaire ou ceux qui sont hostiles à l'émancipation des femmes. Il y a lieu de considérer l'article 45 du projet de Constitution comme une grande victoire de la modernité qui ouvrirait certainement d'autres horizons au combat pour le progrès. Et pour donner plus d'épaisseur à ce principe constitutionnel, la relève législative, éducative et médiatique doit être assurée pour enrayer tous les freins qui viendraient entraver l'émancipation des esprits, le changement des mentalités sur le terrain de la modernité aux couleurs des femmes, dans une société qui demeure attachée à tout un imaginaire marqué par des noms emblématiques comme Elissa, al-Jazia, Saida Mannoubia et tant d'autres noms.