Si l'on conçoit la démocratie comme des mécanismes réglementant la relation entre le pouvoir et les citoyens, alors il devient possible de soutenir l'idée selon laquelle l'absence d'esprit critique comporterait un risque non seulement de blocage de la culture démocratique, mais aussi d'évanouissement de la faculté de juger qui se développe par l'exercice quotidien de la démocratie. La culture démocratique est elle-même invitation à l'exercice de la liberté d'esprit. A la lumière de ces considérations, la question qui se pose en toute urgence à un moment où le pays s'apprête à vivre des échéances politiques -élections législatives, présidentielles et municipales- est celle qui engage le développement de l'esprit critique chez les citoyens comme vecteur et garantie de la culture démocratique et comme condition de la réussite de la transition démocratique. Mais, le constat est négatif. Parce que ce qui domine dans les média c'est plutôt des polémiques politico-politiciennes avec des idées arrêtées qui ne font que mettre en crise les règles de l'apprentissage démocratique, du respect de l'autre et de la différence. Des débats qui ne cultivent en aucun cas l'autonomie des téléspectateurs -autonomie étant au sens propre capacité à se donner à soi-même sa propre loi-. Objectivement, un débat ou un duel politique est censé être un moyen pour le protagoniste d'apprendre sur soi, sur l'autre et sur le monde qui est parfois en panne de repères, d'objectifs et de règles du jeu clairement établies et acceptées par tous. Cependant, une analyse de contenu de la plupart des émissions politiques qu'on voit sur la plupart des plateaux télévisés ou qu'on écoute sur les ondes de radio permet de montrer que ce qui caractérise le discours de certaines figures dites «intellectuelles et politiques » qui prennent part à ces duels est son décalage par rapport à la complexité du réel et les contradictions qui déchirent le quotidien du citoyen. Parce que toutes ces figures ne font que s'accrocher à un discours idéologique se contentant de rabâcher des stéréotypes ou des thèses d'un autre temps. Cette réduction dogmatique est intellectuellement condamnable et n'est pas acceptable du point de vue de la culture démocratique. Et, de surcroît, pas intellectuelle, puisqu'en développant une attitude idéologique totale, elle ne laisse aucune capacité d'action et de critique aux citoyens concernés par le devenir de la culture démocratique dans la société. Et par extrapolation du devenir de la transition démocratique. L'«immunisation et la protection de la révolution» appelle non pas une loi qui exclut les « ennemis de la révolution », mais une pensée critique et une culture démocratique. Etre un citoyen libre, c'est tout d'abord avoir les moyens de développer son esprit critique, de pouvoir prendre le recul nécessaire à l'analyse, afin de devenir acteur de sa propre vie, sujet actif de la société politique dans laquelle il évolue. Ainsi la promotion de la culture démocratique est-elle sous-tendue par une véritable conception du citoyen actif à la base de laquelle se trouvent les capacités d'analyse et de recul critique, c'est-à-dire les principes-valeurs à partir desquels se développe le débat démocratique et se renforce la maîtrise des enjeux. Cette attitude est, à notre sens, la clef de voûte de ce que le philosophe appelle le rationalisme critique qui implique dans une posture, probablement la plus saine et la plus créative en matière de promotion de la culture démocratique et citoyenne : ne rien tenir pour définitivement acquis, ne jamais exclure l'éventualité d'être réfuté et critiqué. Autrement dit, le rationalisme critique est le seul moyen de faire appel à l'intelligence, de tourner à profit la diversité et la pluralité des idées dans une société qui a délibérément et définitivement choisi la voie de la modernité politique.