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Comme si les mots n'avaient pas d'importance Par le Pr Samir Marzouki
Réflexion
Publié dans La Presse de Tunisie le 02 - 06 - 2010

Comment échanger dans une enceinte publique à propos d'un livre, d'un film, d'une pièce de théâtre, d'une conférence, d'une communication ? Quelles mœurs doivent prévaloir dans la sphère culturelle afin que les créateurs acceptent de sortir de leur tour d'ivoire et de rencontrer leur public, ce qui est supposé leur faire du bien à eux comme à lui ou bien pour que les universitaires sortent quelque peu de l'université et parlent à un autre public que celui de leurs collègues ou de leurs étudiants ? Pourquoi voit-on si souvent, dans les lieux d'échanges culturels, des intervenants qui, comme s'ils avaient quelque chose à rattraper et comme s'il s'agissait de la plus grande affaire de leur vie, se mettent à manier l'invective et confondent critique et agressivité‑?
Outre une réponse qui vient immédiatement à l'esprit et qui est que le débat démocratique est affaire d'apprentissage, y compris hors du champ de la politique, et que nous sommes, il faut bien le reconnaître, en cours d'apprentissage, il y a, nous semble-t-il, dans de telles attitudes, la révélation d'un malentendu profond sur le sens même de la notion de critique, souvent inconsciemment assimilée à la notion de compétition.
Le critique, surtout improvisé, se mesure au créateur – ou à l'universitaire ou à l'intervenant s'il s'agit d'un colloque – et tient à démontrer au public, en public, qu'il le vaut ou que, quelque part, il lui est supérieur. Mais comme, bien souvent, il n'a pas ses capacités, ce qui permettrait de placer le débat sur un plan technique et montrerait assez vite les limites du plus limité des deux, il n'entre pas dans un débat supposant assimilation de ce qui est dit puis distanciation et contre-proposition mais formule des jugements à l'emporte-pièce, qui ne permettent pas l'examen détaillé des propos de l'invectivé mais mettent, en un tournemain, dans un seul et même sac, vite emporté, toutes les nuances de la pensée de l'orateur invectivé et les subtilités de sa formulation. Aussi celui-ci est-il jugé et voué aux gémonies non par rapport à ce qu'il a dit mais par rapport à l'intention qu'on lui a prêtée ou à l'idéologie qu'on lui a supposée d'après tel mot qu'il a employé, telle référence à laquelle il a fait allusion ou telle langue dans laquelle il s'est exprimé. S'il a eu le malheur, par exemple, d'analyser, en français, les relents de néocolonialisme dans un texte occidental donné, on ne sera pas attentif à sa pensée mais au véhicule de celle-ci et on affirmera, sans aucune mention de ses propos qu'on n'aura pas du reste écoutés, que, parlant dans la langue de l'ancien colonisateur, il est un suppôt du néocolonialisme. Ainsi, très vite, le débat dérape et, au lieu d'approfondir les thèses du conférencier et de porter plus loin la réflexion qu'il ne l'a fait, de la prolonger, d'en anticiper les développements possibles, d'en vérifier la validité en l'appliquant à d'autres champs, d'en expliciter les implicites, d'en saisir, s'il y a lieu, les failles et de les mettre en lumière, gentiment, courtoisement, civilement, on oblige tout le monde à passer son temps à accuser ou à se défendre et l'enceinte culturelle se transforme en un terrible avatar de l'enceinte judiciaire, avatar parce qu'illégitime, qu'aucun intellectuel sensé et respectueux de soi et des autres ne voudra plus fréquenter.
Souvent, de tels habitués sont repérés du premier coup d'œil et on sait d'avance ce qu'ils vont dire parce que, quel que soit le sujet abordé, quelles qu'en soient les nuances, ils disent toujours la même chose car ils ne viennent pas pour échanger mais pour déverser un trop-plein de frustrations qui se sont incarnées dans leurs propos monomaniaques et qui n'en seront jamais délogées. Ces gens-là pratiquent la course aux colloques et aux réunions culturelles comme d'autres ont recours aux vomitoires, pour se soulager de ce qui pèse sur leur estomac et leur donne des aigreurs. Ils se sentent mieux après, apparemment. Ils ont un petit sourire de triomphe quand ils ont injustement et indûment invectivé et cru avoir humilié en public quelqu'un qui ne s'attendait pas à de telles réactions contre des propos qu'il pensait livrer au débat et non à la violence irrationnelle et déchaînée et dont le statut et la stature constituent un frein puissant l'empêchant de se mettre, lui aussi, au niveau de l'invective.
Saisi par un sentiment d'injustice et plein d'amertume, il décide alors de rester désormais dans sa tour d'ivoire et de ne plus chercher à communiquer sa culture et sa pensée hors de la sphère académique où elles rayonnent le plus naturellement du monde et où l'obscurantisme et l'ignorance se sentent encore trop honteux pour être arrogants. Lui dont le métier ou la vocation ou la passion consistent à pratiquer la nuance, à peser chaque mot pour qu'il ne porte pas plus de connotations qu'il n'a voulu lui en donner, à analyser les écrits d'autrui sans en forcer le sens, sans leur imposer un sens, à tenir compte des circonstances qui ont entouré leur production, aux impératifs qui ont présidé à leur naissance, il se trouve l'objet d'un jugement unilatéral, sans nuances, violent, agressif et presque haineux. Si les aléas de sa propre vie ne lui ont pas appris la vertu du mépris, il ne peut que souffrir de cette injustice car, sachant ce que sont les mots, quel poids ont les mots, il reçoit à la figure les propos injurieux dont il ne comprend pas le déchaînement mais dont il sent bien l'impact tandis que celui qui s'en est pris à lui s'en va tranquille, inconscient de la blessure qu'il vient de lui infliger parce que, brut de décoffrage, il n'a aucune idée du poids des mots, parce qu'il use des mots sans en savoir la valeur, parce qu'il parle comme si les mots n'avaient pas d'importance. Or, Ferré, en son temps, avait écrit : «Je vous le dis, les armes et les mots, c'est pareil ; ça tue pareil» et il y a en effet des mots capables de tuer des hommes, d'autres capables de tuer l'envie de vivre ensemble et d'autres capables de tuer ce que les hommes ont de plus précieux, leur culture.
Car qui a perdu dans un tel cas ? Sûrement pas l'invectivé, malgré sa blessure, ni l'agresseur, en raison de son inconscience, mais à coup sûr la scène culturelle qui se dépeuplerait peu à peu de tous les intellectuels compétents, où la voie serait libre pour les bagarreurs et où on n'entendrait plus que les discours convenus, idéologiquement «corrects», incapables d'éclairer les esprits ou de remuer les cœurs. Heureusement, on est encore loin de telles extrémités mais il faut veiller au grain.


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